Helmut Berger, un beau monstre

Voilà longtemps que j’attendais ce livre. Presque à en désespérer.

Sa première publication, en langue allemande, remonte à 1998. Aussitôt escortée par une sulfureuse réputation : Helmut ne cache rien de ses amours, parle du comportement de certains de ses partenaires, dévoile tout... Un livre vérité ! On affirma même qu’Alain Delon en avait interdit la publication en France. On ne prête qu’aux riches…

N’étant pas familier de la langue de Goethe, je n’avais pu vérifier ces assertions. Or voici que l’ouvrage nous arrive enfin et en français. Grâce soit rendue aux Editions Séguier (avec lesquelles, je rassure le lecteur, je n’ai aucun lien !). Dans une version qui, je l’espère, n’a pas été expurgée.

Avant de plonger dans les pages, il me faut rappeler qui est et qui a été Helmut Berger. Un acteur d’une beauté époustouflante avec un trouble dans le regard qui servit nombre de films dans les années 70. Surtout, l’un des favoris de Luchino Visconti qui sut exploiter son talent et en faire une icône. Par la suite, Berger se fourvoya (on peut facilement oublier Les Prédateurs de la nuit) mais il ne fut pas le seul. Bien que trop souvent dénigré, il n’en a pas moins laissé une trace dans le cinéma européen. Tout le monde ne peut pas en dire autant.              

Alors, au final, qu’en est-il ?

En ce qui concerne Alain Delon, son sort est réglé dès les premières pages. Helmut n’en parlera plus, ce que d’aucuns peuvent regretter car il en sait sûrement beaucoup. Notre star nationale a du grincer des dents en lisant ces lignes.

Il est évident que cet ouvrage tire plus du côté de Voici que des Cahiers du cinéma. Berger y parle peu de ses films, hormis Ludwig ou le crépuscule des dieux, son grand rôle, et, plus étonnant, sa participation à Dynastie… qui s’est très mal passée !

Pour le reste il parle de lui. Beaucoup de lui. Un peu des autres.

« Je ne suis pas fait pour une vie tiède » écrit-il. Il le prouve page après page. Son parcours est une succession de fêtes, de repas hors normes, de voyages incroyables, de rencontres peu banales. Un jet-setteur qui s’est amusé dans les quatre coins du monde et s’est laissé aller à ses envies, quitte à provoquer des scandales. Helmut dit tout, y compris certains détails intimes (une tache sur un pantalon de smoking blanc occupe presque un chapitre).

L’étonnant est qu’il ne cherche jamais à se rendre sympathique. Au contraire, son luxe de précisions tendrait à prouver que, tant dans sa vie que dans ses écrits, il ait voulu correspondre à sa réputation de « bad boy » qui lui colla longtemps à la peau. Même s’il s’évertue à se justifier. Dépensant sans compter, bousculant les cadres, réfutant les règles et se moquant des pisse-vinaigre. Une certaine tendance au masochisme ? A moins que ce ne soient des réminiscences de Dorian Gray, l’un de ses premiers rôles. En tout état de cause : le mérite de la franchise. Le beau monstre ne cherche pas à avoir le beau rôle.

 Au passage, certains en prennent pour leur grade ou sont dégagés d’un coup de griffe. Avec en prime, pour les friands du genre, quelques secrets d’alcôve.

Helmut Berger s’est épanoui dans le « Swinging London » des années 60 et a continué sur cette voie sans vouloir se rendre compte que le monde autour de lui avait évolué.

Ce livre m’a fait penser aux Mémoires de Rupert Everett qui, souvent, se situent dans le même univers. A cette différence que l’Anglais faisait montre d’un humour dont l’Autrichien semble dépourvu.

Bien entendu, Helmut Berger parle longuement de Luchino Visconti dont il se considère comme « la veuve ». Une liaison de quatorze ans qui le marqua profondément. La mort du maître, en 1976, le laissa pantois et l’obligea à trouver un nouveau sens à sa vie. Une liaison avec des hauts et des bas, le jeune Helmut ne pouvant ni ne voulant contrôler son besoin de faire la fête.

La construction de l’ouvrage est parfois décousue (on y trouve même des recettes de cuisine !), l’auteur se répétant d’un chapitre à l’autre. Elle est à l’image de Berger qui fait feu de tout bois, se sépare de ses amis pour mieux les retrouver, se fâche avec les uns pour foncer dans les bras des autres.

Cela crée une autobiographie étonnante et déroutante. Une vie jamais fade emplie de frasques qui finissent par donner le vertige. Une vie inimaginable pour le commun des mortels, c’est-à-dire celui qui n’a ni les relations, ni les moyens, ni le charisme… ni l’envie ! Il faut se faire une raison : Helmut Berger est un être à part. Demi-dieu ou demi-démon ? Au lecteur de choisir.

Le dernier chapitre – écrit spécialement pour cette édition 2015 – s’étend sur le rôle d’Yves Saint-Laurent que Berger a récemment tenu face à la caméra de Bertrand Bonello, sur lequel il ne tarit pas d’éloges. L’acteur a connu le couturier et, dès lors, peut en parler d’expérience. Voilà d’ailleurs ce qui constitue la vraie richesse de ce livre : nous montrer des célébrités de tous bords sous un jour nouveau. Pas vraiment dans leur quotidien mais dans cet univers intermédiaire et inclassable qui est celui des fêtes, des soirées, des mondanités. On regarde ces êtres comme on regarde des animaux sauvages dans un zoo. Sans forcément avoir envie de leur jeter des cacahuètes.

 

Philippe Durant

 

HELMUT BERGER AUTOPORTRAIT

Propos recueillis par Holde Heuer

Séguier, mars 2015, 332 pages, 21 €


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