John Ford chez les indiens

un borgne chez les Navajos


Il y a peu, j’écrivais ici même que les livres français sur le western sont rares. Et bing, comme pour me contredire ou me faire passer pour un vieux schnock en voici un autre qui sort. Tant mieux car le genre le mérite. Tant mieux derechef car l’idée en est excellente et le résultat à la hauteur.


Cet ouvrage devrait en réalité s’intituler John Ford et les Navajos de Monument Valley. Car les auteurs s’attachent essentiellement à cette communauté indienne et à ce décor que Ford mit tellement bien en valeur qu’il est devenu le symbole absolu du western. En 26 ans, il a tourné sept films dans ce paysage aride, engageant à chaque fois des autochtones et même des habitués qu’il distribuait dans des rôles toujours différents !

J’en profite pour souligner, comme le font les auteurs, que, quand on visite Monument Valley, on se rend effectivement compte que les héros de ces films passent leur temps à tourner un rond !

Cette idée qui sert de fondement au livre permet de situer le propos sur plusieurs niveaux : les rapports entre John Ford et les Navajos, l’importance du décor dans les films fordiens, l’apport financier pour les Navajos, leurs conditions de vie (qui n’ont pas beaucoup évolué depuis 1939), la représentation des Indiens dans l’œuvre de Ford, les liens entre la vérité historique et la fiction, sans oublier les conditions de tournages proprement dits, souvent vus du côté Indiens.

Arnaud Balvay et Nicolas Cabos se sont rendus sur place. Non pour interroger les principaux témoins, tous disparus, mais leurs descendants, aux souvenirs vivaces. Il en ressort un portrait original de ces Navajos toujours heureux d’accueillir Ford ; d’une part parce qu’ils l’aimaient bien et d’autre part parce qu’il les faisait travailler à bon prix. Et qu’importait pour eux de jouer parfois des caricatures d’Indiens ! Pas toujours, car Ford sut aussi leur offrir de vrais rôles, dresser d’eux des portraits saisissants. A noter d’ailleurs que le réalisateur ne leur fit jamais jouer des Navajos (le plus souvent des Cheyennes) même si les danses et les chants filmés étaient authentiquement navajos (comme il s’en doutait, le public n’y vit que du feu et même que de l’eau de feu).

Outre ces témoignages, le livre repose sur une très solide documentation et une fine analyse. Même s’il arrive aux auteurs de s’égarer un peu (le traitement du Sergent noir dévie vers le plus vaste sujet du racisme), ils maintiennent le cap et délivrent un ouvrage bourré d’informations et d’une rare pertinence. Et, tout en appréciant Ford, ont la dent dure avec certains de ses produits.

Or, donc, les liens entre John et les Navajos commencèrent à se tisser avec La Chevauchée fantastique pour s’achever avec Les Cheyennes en passant par la fameuse « trilogie des tuniques bleues ». C’est dire si, en chemin, John avait appris à connaitre ses « amis » indiens (il fut hissé au titre de « citoyen d’honneur » par les Navajos), même si, au final, Les Cheyennes n’est pas un bon film.

Bien sûr, avec le recul du temps, on se dit (et les auteurs l’écrivent) que John Ford aurait pu laisser la part plus belle aux Navajos. Non seulement leurs noms ne sont jamais cités au générique (même quand ils jouent des rôles importants !) mais, au moment des Cheyennes, les chefs indiens furent interprétés par des acteurs n’ayant pas une goutte de sang indien (le comble étant la présence de Sal Mineo !). En fait c’est tout une forme de cinéma américain qui se devine derrière ce comportement et derrière ces pages. Un cinéma osant braver certains interdits mais à pas feutrés.

N’en reste pas moins que l’attachement de Ford aux Navajos parait sincère, au point que, même quand il ne tourna pas dans Monument Valley, il les fit venir dans ses westerns.

Je ne peux que conseiller ce livre à tous les amateurs non seulement de Ford mais plus généralement de western. Ainsi – ce qui sort un peu du cadre cinématographique – qu’à tous ceux qui désirent en savoir un peu plus sur les Navajos. Car les voir à l’écran c’est bien mais savoir comment ils ont vécu les tournages et comment ils ont survécu loin des caméras c’est mieux.

A signaler de très belles photos. Il est vrai que le sujet mériterait un livre entier de photographies (il y en a parus aux Etats-Unis).

Et si d’aventure vous passez par Monument Valley, ne vous contentez pas d’être estomaqués par la majestuosité du décor, ayez une pensée pour Mr Ford et, bien sûr, pour les Navajos qui continuent d’y vivre dans des conditions précaires (le livre nous signale que la plupart des magasins à touristes sont tenus par des Blancs !).


Philippe Durant


Arnaud Balvay et Nicolas Cabos, John Ford et les indiens,  Séguier, mars 2015, 292 pages, 21€

Parution : mars 2015

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