La beauté du métis, pamphlet francophobe

Guy Hocquenghem dans cet essai brocarde violemment la France qu’il écrit expressément avec un f minuscule, cette france imbue d’elle-même, tant incapable de s’ouvrir à l’étranger qu’elle se rapetisse sans ce désir de l’autre, sans ce désir d’ailleurs. Le texte est bien sûr excessif, féroce mais finalement pas plus que ne l’est la détestation française pour ce et ceux qui veulent pénétrer ses frontières et pas plus que la façon dont la France cultive son quant à soi. Alors, ainsi que l’écrit René Schérer en préface, « qu’on ne regrette donc pas que cette écriture soit excessive : elle consiste dans son excès même ».
La beauté du métis, c’est l’éloge des différences, du mélange des cultures et des savoirs, de l’ouverture, de l’hospitalité dans l’esprit tout autant que sur le territoire. Les lecteurs qui ne verraient dans ce livre que du mépris de l’auteur pour son pays feraient fausse route. Certes, ce texte est fort de café, ne fait pas plaisir et met carrément mal à l’aise. Le miroir tendu fait parfois mal . Hocquenghem s’attaque à la morbidité de la francité, persuadé qu’une culture qui se replie sur elle-même ne peut que se scléroser et mourir.
Que ce soit en amour, en politique, en littérature, dans les langues, dans les arts, la puissance du métissage grandit et fait sans cesse renaître. Et Hocquenghem s’en donne à cœur coléreux pour dénoncer que « la culture française est le boulet de l’Europe. Elle n’y a régné que pour arrimer des expansions possibles, pour retenir des envols. Régné, car la culture française règne quand les autres prolifèrent, se ramifient, s’éclatent » . L’auteur va tout passer en revue, il s’attaque à la littérature, au roman, à la langue. « En france, une créature de fiction s’efface toujours derrière son auteur, comme l’actrice ou l’acteur derrière le metteur en scène » Une littérature de mégalomane, prétentieuse et nombriliste, aux bottes des critiques, engoncée dans sa forme au détriment de l’inventitvité et du texte. Quant à la langue, Hocquenghem lui reproche d’être certes plus riche que l’anglais mais appauvrie par sa complexité, les français par peur de se tromper ou par ignorance n‘en utilisent qu’une infime partie, quand les langues académiques, universitaires, politiques et autres jargons intellectuels font en sorte que le peuple ne les comprenne pas.
L’art du dévouement fonctionnaire, le cœur parisien, le bonheur d’état, la France donneuse de leçons, le pouvoir des professeurs….. Hocquenghem dégomme à tout va « Quand l’art est un bibelot, la vie une carrière, l’Etat un papa, le rêve français s’accomplit ».
Lire Hocquengheim est dérangeant, certainement, il pousse le bouchon parfois loin, trop loin, mais au travers l'acharnement de l’auteur à décoiffer la sage et stérile organisation de la francité, le lecteur dépoussiéré y percevra sans aucun doute son amour de la vie et l’envie de faire déciller son pays. En tout cas matière à méditer.
Anne Bert
Guy Hocquenghem, journaliste à Libération de 1976 à 1981, romancier, essayiste et enseignant en philosophie est décédé en 1988 à l’âge de 41 ans.
Guy Hocquenghem, La beauté du métis, éditions Serge Safran, 2015, 256 pages, 22,90 euros
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