Le théâtre des amours en famille

Ah oui, il faut avertir.  Rien  que le  titre casse-gueule de ce roman hérissera  certains lecteurs,   je les sens déjà  prêts à fourbir leurs mots les plus cinglants pour me vouer aux enfers comme ils le firent  pour  ma chronique de Petite table sois mise.  A ceux-là je dis, ne vous faites donc pas de mal et  passez votre chemin sans lire la suite, ce roman   très obscène  et  burlesque n’est pas à mettre en vos mains, personne ne vous oblige à en prendre connaissance.


L’amour en famille donc,  puisque ce petit théâtre publié aux éditions Serge Safran   évoque le désir incestueux et  passionnelLe propos n'est pas de légitimer, de défendre, de justifier ni même d’être complaisant envers cette pratique familiale condamnée par la morale et la loi,  ce n’est pas non plus un livre éroticoporno  même si  des scènes explicites émaillent le texte, il s’agit avant tout de littérature, de  récit théâtral, d’imaginaire,  d’allégorie, de liens  déviants d’amour , de désir et de sexe,  d'amoralité, de questionnement, bref de ce qui fait et défait la vie.  

La littérature a tout à dire de la nature humaine et ce texte n’est pas une provocation gratuite, d’autant plus que la réalité dépasse souvent la fiction, les faits divers de pédophilie ressassés  en gros titres des infos à longueur de journée sont mille fois plus scabreux que ce texte  certes parfois monstrueux  mais qui reste surtout un roman intrigant parce qu’il explore la nébuleuse arrière boutique du désir masculin en instaurant une espèce de distanciation avec la  perversité,  par sa théâtralisation. 


A la façon  donc, d’une pièce de théâtre en trois actes, le narrateur met en scène les relations intimes  et   assurément très cochonnes,  qu’il a  nouées  successivement  avec trois membres de sa famille : sa mère qui l’a initié dans une relation terriblement exclusive,  sa  fille majeure, puis  sa sœur  éloignée qu’il retrouve tardivement, donc majeure également.  

Ma mère  mon enfant  ma sœur…. une invitation au voyage, là où tout n’est que désordre et volupté...


C’est donc  en tant que fils, père et frère que le narrateur raconte son   cheminement érotique et amoureux  qu’il conçoit comme une quête de la féminité.  De façon détachée et néanmoins crûment détaillée il relate sa violente attirance douloureuse et si  sentimentale  pour sa mère  aux mœurs dépravées, aussi éprise de son fils.  Dès ses sens en éveil, l’amour qu’il ressent pour sa mère est  à la fois sulfureux et très pur, plus romantique et poétique que sale. 


« Je veux vous raconter d’une manière simple et directe comment je suis tombé amoureux de ma mère, comment je l’ai épousée et comment j’ai vécu heureux auprès d’elle, ayant été élevé par elle –au bord de cette mer vaginale : le désir  d’y rester à jamais, la source placentaire, les fluides visqueux. Quitter ce rivage semblait pareil à la mort. »  


Sa mère  après avoir mis au monde son fils, quelques années plus tard  fait naitre l’amant. 


"Tout homme n’est-il pas  le fils de son amante à un moment donné ? " 


Le récit de leurs étreintes est édifiant et lucide, la mère dévoratrice le fait souffrir, il  lui confesse ses fautes, elle le punit, s’instaure une relation tendrement sadomasochiste,   l’acte de pénétration n’est pas important pour sa mère,  il comprend être son jouet mais il sait au fond de lui, que jamais une autre femme ne pourra l’aimer  de façon inconditionnelle comme elle l’aime.

Et longtemps après,  son désir sexuel pour elle  se meut en recherche de réconfort maternel, il lui est enfin infidèle et s’éloigne du ventre maternel. Fin de l’acte 1 qui se révèle être l’acte fondateur de la pratique incestueuse chez le narrateur. Il lui reste à pousser d’autres portes, il ne connaît encore rien de la femme ni de ses propres désirs.

 

Le deuxième acte s’ouvre  sur  ma  fille mon autre  lorsque celle-ci , devenue majeure devient sa maîtresse.  Leur relation est tout autre,  exaltante et joyeuse,  il lui semble  vraiment accéder à la perception de la féminité  dont il découvre  même des facettes  en lui. Sa fille est, joueuse, elle  prend du plaisir, ils expérimentent  diverses pratiques  qui  les ravissent.  Jusqu’à la souiller. L’importance du désir masculin de posséder jusqu’au salissement  ne lui échappe pas. La comédie amoureuse qu’ils jouent  et à laquelle sa fille  se livre avec tant de grâce le repose de la tension mentale  permanente dans laquelle il était avec sa mère  pour laquelle il fallait qu’il soit toujours  le chevalier servant. Pour autant il reste celui qui protège, il est un père amant, sa fille une femme enfant.


Étrangement sa passion affective et sexuelle pour sa fille va se terminer subitement comme celle pour sa sœur naître aussi mystérieusement.

C’est sans doute là la frustration de ce petit théâtre incestueux, car enfin on ne tombe pas du jour au lendemain dans le lit de son père ou de son frère…  , on ne sait  trop rien de ce qui précède le début de la liaison avec sa fille ou avec sa sœur,  ni de l’attirance de ces  femmes pour lui,  ni du  vertige de la transgression.  

Le lecteur est placé derrière des portes et des fenêtres et il n’a d’autres choix que de se livrer à la scopophilie textuelle.


L’incestueux obsessionnel  renoue  donc  avec sa sœur sur le tard et  il se retrouvent au lit dès le premier soir de leurs retrouvailles. Et le voilà qui découvre la gémellité des corps nés du même ventre et l’ambigüité des  genres masculin et féminin ;   il est un autre que lui-même au plus profond de sa sœur,  leur  lien relève d’un amour quasi masturbatoire. Une révélation pour lui, au-delà des différences générationnelles, il n’est enfin  plus celui qui devait rassurer  et protéger la mère ou la fille, sa sœur est  un prolongement de lui   venu de la même matrice, mais avec une entité bien réelle qu’il lui fallait connaître et respecter comme ses orgasmes hors de sa portée et de son entendement.


L’homme ne cessera donc jamais de chercher en la femme  la mère, la fille et la sœur ? Cette  trilogie  incestueuse  annoncée comme  une quête masculine n'est pas que cela, oui bien sûr elle explore dans un style décomplexé fantasmes et obsessions masculins, mais elle  questionne surtout  l’idée que l’homme se fait de la femme : jamais femme n'est simplement et uniquement femme,  la  femme  amante se décline  à toutes ses fonctions et ses liens de sang,  la mère, la sœur, la fille… Il serait intéressant, finalement, de se demander si la femme elle aussi quête en  l’homme, un père, un frère, un fils…  Et si oui,  alors ...effectivement,  autant baiser en famille.


L'auteur Alain Arias-Misson est un artiste protéiforme. Le Théâtre de l'inceste est paru aux USA en 2007, c'est son premier roman traduit en français, par Lucien d'Azay.


Anne Bert


Lire un extrait sur le site de l'éditeur


Alain Arias-Misson, Le théâtre de l'inceste,  traduit de l'anglais par Lucien d'Azay, éditions Serge Safran, 2014, 192 pages, 17 euros.


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