Stardust

Plus personne ne conteste aujourd'hui l'importance de Neil Gaiman au sein de la littérature de genre dans le cercle très fermé des écrivains anglo-saxons. Son American gods lui a valu il y a quelques années la consécration critique et publique, raflant au passage les plus prestigieux prix littéraires au sein de la famille de la science-fiction (prix Hugo et Nébula). Mais si Gaiman fait désormais l'unanimité ou presque, son apparition sur la scène littéraire en 1999 avec son Stardust pouvait laisser perplexe. En effet, issu du milieu bédéphilique et plus précisément du comic-book, on pouvait craindre le pire lors de son passage du scénario d'un genre populaire à l'écriture d'un roman.

Petit rappel pour les néophytes et ceux qui ne connaissent pas le bonhomme : Gaiman s'est fait connaître par ses scénarios et surtout ses personnages hors-normes dans le mileu du comic book dans les années quatre vingt dix. Faisant ses dents auprès de Mac Farlane pour la série Spawn, il créa par la suite la plus célèbre saga du label Vertigo, Sandman. Révolutionnant le petit monde du comic book comme Moore et Miller avant lui, Gaiman surprit non seulement par l'intelligence de son script et ses personnages haut en couleurs, mais aussi par le subtil mélange de toutes sortes de réfèrences culturelles. Imposant sa marque de fabrique, il réussit régulièrement à faire cohabiter cultures de genre et diverses sources d'inspiration philosophiques ou historiques. Ce tour de force déjà énorme pour de la bande-déssinée, il ne le cesse de le répêter au sein de son œuvre littéraire, de Stardust à Anansi Boys en passant par Neverwhere et American Boys.

La réédition de Stardust à l'occasion de son adaptation cinématographique (1) est pour tous l'occasion de revenir aux racines de l'œuvre de Gaiman et encore aujourd'hui d'admirer l'habileté de cet auteur pas comme les autres. Stardust nous conte l'histoire de Tristan, modeste commis dans un petit village perdu de l'Angleterre victorienne. Tristan n'est préposé à rien, n'a ni talent particulier ou origine exceptionnelle en apparence. Quidam ordinnaire, ou médiocre parmi les moyens, certains le qualifieraient de quelconque, les plus mauvaises langues d'inutile pantin. Et quand la femme qu'il convoîte lui demande — idée somme toute saugrenue — d'aller chercher l'étoile filante qui vient de tomber à quelques lieues de là, Tristan s'engage alors dans une quête qu'il n'imaginait pas. Il devra alors traverser le mur qui depuis toujours entoure son village sans que jamais personne n'ai pu le franchir et entrer de plein pied dans le royaume de Stormhold, où la magie règne en maître. Là, il découvrira que ce qu'il venait chercher ne ressemble en rien à ses attentes. Et pour cause...

Gaiman n'a cesse de clamer son admiration pour Marion Roger Zelazny et Gene Wolfe, deux grands auteurs de Fanatasy. Avec Stardust, il leur rend hommage en signant une œuvre d'une folle impertinence, puisant ses sources dans la fantasy traditionnelle la plus pure mais aussi dans une irrévérence qui ne déplairait pas à Moorcock. Car Stardust ne succombe pas à la tentation de la Fantasy traditionnelle qui prend racine elle-même dans les antiques contes de fées. Non, Gaiman peint une toile iconoclaste aux influences artistiques diverses qui en font un ovni. Du Steampunk au récit de voyage, du roman d'aventures au roman d'apprentissage, Gaiman distille ses idées de bric et de broc en un tout cohérent qui donne naissance à un classique instantanné. Surprenant constamment le lecteur par ses choix scénaristiques, refusant un classicisme conformiste, Gaiman nous livre une variante de la fable du laboureur ; parti à la recherche d'un trésor, il trouve quelque chose de bien plus précieux. Et c'est la même chose pour Tristan dont le chemin de croix l’amènera au statut d'homme (il devient, ce qui en fait un roman initiatique aussi) ; taillé en rien pour l'aventure il en vivra une bien étonnante.

Mais si la magie de Stardust opère c'est parce que Gaiman refuse l’esbroufe narrative propre au genre, à une surenchère dans le déroulement de l'action, au narratif spectaculaire comme ont pu le faire Howard, Moorcock voire Tolkien par le passé. Il tisse ici une trame prévisible bien que complexe qui se dénoue avec une finesse et une logique implacable. Et c'est parce que Gaiman refuse les compromis et s'ancre dans une autre idée du genre, que Stardust en est l'ultime réussite. Si tous se tournent désormais vers Harry Potter et Trône de Fer, ils devraient plutôt jeter un oeil sur l'étoile qui vient de re-tomber parmi nous.     
 
François Verstraete

(1) Notons que J'ai Lu proposera aussi son édition, mais notre cœur va au Diable !

Neil Gaiman, Stardust, Au Diable Vauvert, septembre 2007, 308 pages, 18,50 €

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