Arlis des forains de Mélanie Fazi "Mélancolie du passage à l’adolescence"

Jeune auteur d’une trentaine d’années, Mélanie Fazi a été remarquée pour ses recueils de nouvelles (Serpentine, Notre dame des écailles) où elle a réussi à marier avec habileté mélancolie et fantastique : la retrouver dans le format du roman constitue donc une agréable surprise (Arlis des forains est son deuxième roman après Trois pépins du fruit des morts en 2004).

Une chronique de l’enfance meurtrie

Jeune garçon de onze ans, Arlis est un enfant trouvé, élevé par Lindy, ancienne écuyère, boiteuse depuis un grave accident de cheval, au sein d’une troupe de forains. Dans cette  troupe, on trouve des personnages qui se révèlent hauts en couleurs : Emmett, patron de la troupe, dur et impitoyable, compagnon de Lindy ; Katrina sensuelle et froide montreuse de serpents ; Aaron le dresseur de singes savants et enfin Jared, le dompteur d'ours, cul de jatte au grand cœur confident de Lindy et d’Arlis. Cette troupe vient établir son campement pour plusieurs semaines à Bailey Creek, une petite ville de campagne américaine un peu figée, vivant selon le rythme immuable des saisons. Dès son arrivée, Arlis fait la connaissance de Faith, fille aînée du pasteur du coin. En rébellion avec la foi de son père, elle pratique d'étranges rituels, la nuit dans les blés, pour invoquer une divinité appelée le Seigneur des Moissons en lui offrant présents et sacrifices d'animaux morts afin de se gagner ses faveurs. 


Elle initie Arlis, réticent au départ, aux secrets des champs de blés. La vie du garçon finit peu à peu par se peupler d'étranges créatures fantomatiques. Ces spectres ne sont peut-être pas des étrangers pour le jeune Arlis : petit, il détenait déjà ce pouvoir de matérialiser des souvenirs enfouis, que ce soit les siens ou ceux de ses compagnons. Et cette magie l’entraîne peu à peu à entreprendre la quête de ses origines...

Un roman initiatique entre puberté et fantastique

Il y a tout d’abord des voies que le roman ne prend pas. Le thème des forains confrontés au reste des hommes, les préjugés, les malentendus, la thématique du cirque : tout cela l’auteur ne l’exploite pas vraiment, malgré certains aspects qui évoquent  Freaks de Tod Browning, à travers la description de cette troupe hétéroclite de phénomènes de foire, en marge de la société. Mélanie Fazi s’est juste dotée d’un décor à son goût et se concentre surtout sur l’histoire de cet enfant trouvé, sur ses doutes, sur sa quête. Cet enfant de onze ans dont la puberté commence, est confronté à trois femmes représentant chacune un aspect de la féminité. D’abord Katrina, sensuelle et cruelle à la fois, offerte aux regards masculins, qu’Arlis espionne et désire, sans le dire expressément et dont il se vengera après qu’elle ait insulté Lindy. Faith ensuite : fille de son âge, elle est la tentatrice, celle qui l’initie aux rites du seigneur des moissons et qui provoque la révélation de ses étranges pouvoirs. Lindy, enfin, la mère adoptive qu’il aime passionnément et exclusivement : cette exclusivité ne peut que le mener finalement à haïr Emmett, son vrai rival. Quant à la révélation de l’histoire de ses origines, elle le poussera à quitter son foyer.

L’auteur a préféré écrire un livre d’atmosphère, où le fantastique part du quotidien, traquant les incertitudes des personnages pour dévoiler les failles d’une réalité qui se délite inéluctablement sous les pieds d’Arlis. Servi par une narration à la première personne — adoptant un ton qui évoque les confessions d’un homme mûr —, voici donc le portrait d’un enfant à la lisière de l’adolescence, plein de spontanéité et d'interrogations, naïf et attachant. C’est également le récit d’un parcours initiatique dont l'issue laisse triste et amer.

Des défauts de jeunesse ?

Ce roman, qui balance constamment entre le fantastique et la chronique de l’enfance, est touchant par la manière dont l’auteur exploite le substrat psychologique (passage de l’enfance à l’adolescence, début de la puberté, découverte du mensonge) sous l’angle du fantastique et met en scène son personnage principal. Pour autant, il n’est pas exempt de quelques faiblesses. Le basculement de l’intrigue entre l’histoire du seigneur des moissons et la révélation des pouvoirs d’Arlis se fait abruptement. Certaines scènes ne fonctionnent pas comme la description des aveux de Katrina : même si le personnage est en pleine hystérie, la logorrhée qui en découle est mal maîtrisée.

On peut aussi se demander pourquoi l’auteur a choisi un cadre aussi figé que cette Amérique éternelle, mythologique, rurale dont elle ne tire d’ailleurs pas grand-chose à part des stéréotypes. Une question d’ailleurs qui nous taraude depuis quelques temps : est-ce qu’il y a une peur latente de partir d’un décor et d’un contexte français pour bâtir une histoire fantastique chez les jeunes auteurs du cru ? Est-ce qu’il y a impossibilité de bâtir une ambiance fantastique à partir d’un décor français ? Si notre pays fut la patrie du rationalisme cartésien, il fut aussi celui de Maupassant et du Horla…  le genre fantastique s’est ensuite davantage épanoui dans les cultures anglo-saxonnes : faut-il par là les imiter d’une part et situer des histoires en Amérique — et non en France — quand on est un jeune auteur francophone ? L’Amérique est-elle seule source du fantastique contemporain ?

Pour en revenir à notre auteur, Mélanie Fazi, dont l’inspiration et le talent indéniables la place largement au-dessus du niveau d’une simple imitatrice, elle a par ailleurs écrit des nouvelles se passant en France. Ne gagnerait-elle pas à situer un  roman dans l’hexagone pour justement tirer profit de son aptitude à créer une ambiance à partir du quotidien (le nôtre justement) qui pourrait renforcer l’identification chez le lecteur ?

Quoiqu’il en soit, ce roman, dans la lignée de La foire des ténèbres de Ray Bradbury, est une réussite qui fera les délices de l’amateur. Meilleure nouvelliste que romancière, l’auteur creuse cependant son sillon livre après livre et on attend avec une certaine impatience le prochain.

Sylvain Bonnet

Mélanie Fazi, Arlis des Forains, Gallimard, « Folio SF », septembre 2010, 307 pages, 7 €
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