Zendegi

Greg Egan, auteur de science-fiction australien, s’est fait un nom comme auteur de Hard Science. Zendegi est sonhuitième roman,le premier après une éclipse de quelques années durant lesquelles il ne publia que des nouvelles. Très attendu, ce livre brasse plusieurs sujets et finit aussi sur une note surprenante, tout en retenue, qu’on n’attendait pas chez lui.

Révolution en Iran

De nos jours, un journaliste nommé Martin Seymour se fait plaquer par sa compagne et est envoyé à Téhéran pour couvrir la révolte qui y couve depuis quelques années. Seymour prend des risques, côtoie les révoltés, est même emprisonné. Heureusement, c’est le peuple qui gagne cette fois et les religieux sont obligés de s’engager dans un processus au terme duquel ils abandonneront le pouvoir. Seymour tombe amoureux d’une iranienne et reste finalement dans ce pays où il achète une librairie et a un fils, Javeed. Le premier thème de ce roman est l’Iran, son histoire, ses légendes aussi, ainsi que le rapport Orient/Occident. Tout ceci n’aurait pas dépareillé dans un roman de littérature générale, comme disent les libraires pressés.

Réalités virtuelles

Aux Etats-Unis, Nasim Golestani, jeune et brillante scientifique iranienne en exil, assiste de loin aux évènements qui secouent son pays. Son ambition est ailleurs : être recrutée sur le projet PCH, qui a pour but de cartographier les connexions neurales du cerveau humain. Au-delà de l’aspect scientifique, des milliardaires excentriques y voient surtout un moyen de prolonger leur existence et d’échapper à des maladies incurables. Mais elle échoue et repart dans son pays. Quinze ans plus tard, Nasim, qui est aussi la cousine de l’épouse de Martin Seymour, est une des conceptrices de Zendegi, jeu virtuel inspiré des légendes iraniennes, très populaire malgré les interdits religieux. Car certaines des créatures virtuellesqui peuplent ce jeu sont copiées à partir de cerveaux humains. Nasim a développé une technique appelée « latérochargement » qui lui permet de créer de véritables simulacres, censés être capables d’émotions. Potentiellement, c’est aussi une manière pour certains de se survivre à soi-même et d’échapper à la mort… Quid de l’âme là-dedans ? Ici, on retrouve la dialectique virtuel/réel, des éléments qui s’apparentent au concept de la matrice, héritée du courant cyberpunk. Mais le roman débouche sur autre chose.

Un père et un fils

Victime d’un accident de la circulation, Martin Seymour, perd sa femme — scène traitée d’ailleurs avec une ellipse très adroite —  et échappe lui-même de peu à la mort. À l’hôpital, il apprend qu’il est atteint d’un cancer incurable. Seymour s’inquiète de l’avenir de son fils : qui va le guider après sa mort ? Des amis iraniens se proposent de le recueillir mais il craint que les choses se passent mal.

Grâce à Nasim, Zendegi et le latérochargement offrent alors à Martin Seymour une porte de sortie : après sa mort, son fils pourrait y retrouver son double virtuel, ce dernier l’accompagnerait alors sur le chemin de l’âge adulte. Seymour commence l’expérience, non sans interrogations : pour être crédible, son « double » doit posséder complètement sa personnalité, et donc être le plus « vrai » possible. Descyberattaques contre Zendegi commencent alors à perturber le jeu…

Ce roman est particulier. Il commence par l’évocation d’une révolution, un peu indigeste d’ailleurs, part dans une analyse des univers virtuels et du devenir de l’esprit humain incorporé dans une matrice que William Gibson ne renierait pas, et aboutit à la peinture émouvante de la relation entre un père condamné et son fils bien trop jeune pour accepter ce deuil. Politique, science, réflexion sur ce qu’est un esprit humain, mise en abyme des sentiments : drôle de mélange pour une tambouille qui pourrait se révéler indigeste... Sauf qu’elle ne l’est pas. Le cœur du livre est cette relation père/fils décrite avec beaucoup de justesse. Le père est anxieux de ce qu’il pourra transmettre à son fils, de son avenir ; l’enfant se raccroche à lui, d’autant plus que la mère est morte, et pressent sans doute que quelque chose de terrible risque de se passer. Le désarroi des deux personnages est à l’image aussi du monde en pleine mutation décrit par l’auteur, à la recherche d’un nouvel équilibre alors que l’effet déstabilisant des progrès technologiques se fait sentir à plein.

On n’attendait pas Greg Egan sur ce terrain. Touffu, complexe, anticipation plausible d’un monde très proche du nôtre, Zendegi nous touche car ce livre est pourvu d’une dimension rare dans le genre et trop souvent galvaudée ailleurs : l’émotion.

« - Je vais essayer de toutes mes forces, mais si je ne peux pas aller mieux, tu ne dois vraiment pas te fâcher après moi. Tu dois croire que j’essayais vraiment.
Le garçonnet baissa les yeux, perdu et abattu.
- « Pesaram ? Tu me crois ? » Martin se redressa sur son séant et passa un bras autour de son fils. « Ecoute-moi. Je t’aime plus que tout au monde. Je n’ai qu’une envie, c’est de rester avec toi. Mais ne sois pas en colère si je ne peux pas. »

Sylvain Bonnet

Greg Egan, Zendegi, traduit de l'anglais par Pierre-Paul Durastanti, Le Belial’, 370 pages, mars 2012, 23 €


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