"Frères lointains" de Clifford D. Simak ou l'âge d'or perdu

Cliford
D.Simak (1904-1988) est un auteur quasi oublié aux États-Unis et en France (l’étude  proposée en fin de ce volume par Philippe Boulier est d’ailleurs assez édifiante sur ce point). Auteur surtout connu pour Demain les chiens, chef d’œuvre qui éclipse le reste de son œuvre comme l’arbre cachant la forêt, il avait pourtant  remporté au cours de sa carrière plusieurs prix Hugo et Nebula pour ses nouvelles. Les éditions Le Belial’ se sont donc lancées dans un processus de redécouverte de l’oeuvre simakienne avec un premier recueil déjà riche de surprises, Voisins d’ailleurs, dont Frères lointains se veut le digne successeur. Huit histoires sont ici proposées, autant de preuves de la continuité thématique et de la richesse de l’inspiration de l’auteur.

Les premiers contacts

Thème classique de la SF, le premier contact entre l’humanité et une civilisation extraterrestre passionne visiblement Simak. Dans Tête de pont, un groupe de scientifiques débarque sur une planète pour l’étudier avant de lancer la « terraformation ». Ils rencontrent alors des indigènes, humanoïdes et intelligents, avec qui ils essaient de rentrer en contact télépathiquement. Ceux-ci, taciturnes et plutôt pacifiques au premier abord,  ne cessent de leur dire qu’ils ne repartiront pas de la planète. Les humains interprètent leur réponse comme une menace mais ils ont tort : il s’agit en fait d’un avertissement qu’ils ne comprennent que trop tard.

Dans La Planète des reflets, des chercheurs sont gênés dans leur travail par des petites créatures cyclopéennes, qu’ils ont baptisé « reflets ». Ceux-ci les suivent partout, sans un mot. Un chercheur, Blake, s’inquiète des buts des « reflets et finit par en détruire un, dévoilant ainsi  leur vraie nature : il s’agit en fait de mini caméras ambulantes, transmettant des images à une civilisation très avancée en mal de sensations fortes.

Il ressort de ces histoires un goût pour décrire l’imprévu et l’accidentel. En fait, les hommes, lancés dans l’exploration spatiale et des entreprises de colonisation, plein d’orgueil, ne maîtrisent rien du tout. Souvent c’est la communication qui pêche : c’est tout le sujet d’À l’écoute, où des télépathes humains projettent leurs pensées dans l’espace et dialoguent avec des espèces extra-terrestres. Cela donne des moments cocasses, par exemple quand l’un d’entre eux essaie d’expliquer l’économie à son interlocuteur… le vrai problème reste  que l’équipe n’arrive pas à percer le secret des théories extra-terrestres sur la vitesse « supraluminique », objectif avoué du programme sans quoi les politiques couperont leurs crédits…

Simak a foi dans l’homme mais fustige d’avance son aveuglement et son incompréhension devant des cultures étrangères : dans L’ogre, l’humanité a découvert une civilisation où ce sont les plantes qui ont évolué vers l’intelligence, à la place des animaux. Produisant une musique envoûtante, des arbres pensants et artistes font l’objet de convoitises et manquent d’être ramenés sur terre, avant que nos mélomanes ne se rendent compte du potentiel dangereux de cette musique, capable d’envoûter l’humanité et de la réduire en esclavage. Au passage, notons le traitement du personnage du robot dans cette nouvelle, dotée d’une personnalité féminine, assez insupportable, qui sauve cependant les personnages, loin du sérieux d’Asimov et évoquant plutôt l’humour au second degré de Robert Sheckley.

Clifford D. Simak

Le double

Il s’agit de l’autre thématique irriguant ce recueil. Le frère narre l’histoire d’un écrivain, vivant seul dans son ancienne ferme, dont le frère est parti pour les étoiles des années auparavant. Depuis, celui-ci revient pour de courts séjours où il lui raconte ce qu’il a vu…Sauf qu’il s’agit d’un mensonge car notre écrivain n’a jamais eu de frère. Il l’a en fait fantasmé, puis littéralement créé : celui-ci a pris consistance physique et est réellement parti voyager dans l’espace. Quand ce double lui raconte cette supercherie, notre écrivain se raccroche pourtant à ce qu’il a toujours cru et continue à le traiter  comme son frère. La planète des reflets se situe aussi dans cette veine car ces poupées-transmetteurs ont bien des traits des humains, dont la curiosité. Il est également possible d’inclure les extra terrestres de Tête de pont : ne seraient-ils pas eux aussi des naufragés sur cette planète, cherchant à prévenir les humains des risques qu’ils encourraient s’ils restaient, donc in fine des doubles futurs de nos naufragés ?
 
La tentation mystique

C’est visible dans À l’écoute où un des télépathes apprend par un de ses contacts que l’univers, à son extrémité, a commencé de s’effondrer sur lui-même : alors que l’humanité commence tout juste à s’élever vers les étoiles, l’apocalypse serait, elle, déjà en marche : cela relativise d’avance toute idée de progrès cher à la Science-Fiction. Dans cette nouvelle, on parle également de Dieu, de la naissance de l’univers, de l’éternité comme constante. Il existe donc chez notre auteur une veine mystique, déjà présente dans Au carrefour des étoiles.

La dernière histoire, Dernier acte est de toute beauté : suite à une irradiation, les hommes sont maintenant capables de prédire vingt quatre heures à l’avance l’avenir immédiat, ce qui a pas mal d’effets sur les guerres, les mouvements en bourse… Et nous voici avec un homme qui a fait sa vie, élevé ses enfants et qui, vingt quatre à l’avance devine sa mort. Il ne change rien à ses habitudes, au contraire, afin de mieux dire au revoir à ses voisins, à ses habitudes et à ses plantes. Conscient et résigné devant l’inévitable, courageux mais plein d’une nostalgie qui émeut, le personnage va vers son destin comme si de rien n’était... C’est ainsi que se termine un recueil qui donne envie de lire d’autres nouvelles de Simak, dont il serait dommage qu’il sombre définitivement dans un oubli largement immérité. On attend donc avec impatience un troisième volume, déjà annoncé, des éditions le Belial’.

Sylvain Bonnet

Saluons au passage le travail de Pierre-Paul Durastanti, traducteur et anthologiste émérite !

Clifford D. Simak, Frères des étoiles, traduction de Pierre-Paul Durastanti, Le Belial’, Juin 2011,340 pages, 22 €
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