"Le guide de Kadath", le lonely planet préféré de Chtulhu



Bienvenue dans le monde des contrées du rêve, imaginé par H. P. Lovecraft (1890-1937), qui accueille la nuit nombre de rêveurs insatisfaits par leur existence. Pour les plus expérimentés d’entre eux, versés dans la magie, Kadath est une sorte de terre promise qu’ils recherchent nuit après nuit. Kadath, capitale interlope de ces contrées, fut décrite en particulier dans le long récit intitulé « à la Recherche de Kadath » narrant la quête de Randolph Carter, humain passé « définitivement » dans le monde des rêves et double « idéal » de Lovecraft.

Ce guide est constitué d’un entrelacs de quatre récits se chevauchant pour décrire la ville imaginée par HPL. Ils ont été écrits respectivement par Mélanie Fazi — auteur notamment des recueils Serpentine, Notre dame des écailles et du roman Arlis des forains —, David Camus (traducteur de la nouvelle version du recueil les contrées du rêve), Laurent Poujois et Raphaël de Cassagnac. Ces histoires sont bien menées, qui mettent en scène soit des personnages lovecraftiens comme l’arabe fou al Azhraed dans le Kitab du Saigneur de Laurent Poujois, soit d’autres inventés par leur soins (comme la religieuse éternellement enceinte d’un dieu, Aliénor, dans l’histoire écrite par Mélanie Fazi), voire HPL lui-même dans l’Inédit de Carter. Les auteurs, rappelons-le, s’inscrivent ici dans une tradition réflexive instaurée par Lovecraft et ses amis — inaugurée par la nouvelle le Tueur des étoiles de Robert Bloch où Lovecraft apparaissait à peine déguisé. Entre pastiche et hommage, ils réussissent à prouver ainsi la plasticité et la modernité de l’univers de Lovecraft. La chose était pourtant peu évidente, surtout après le succès de Stephen King — au demeurant grand admirateur de HPL —, basé sur un déplacement du fantastique vers le quotidien et l’ordinaire, qui a eu pour effet de dévaloriser l’approche lovecraftienne, fondée quant à elle sur l’extraordinaire et l’exceptionnalité.

Le Lonely Planet préféré de Cthulhu

Ce guide contient également des notations sur les auberges à fréquenter, des cartes, des informations sur la nourriture ou les monnaies en cours à Kadath : pour un peu on aurait l’impression de feuilleter un exemplaire du Lonely Planet guidant les touristes que nous sommes dans la cité des rêves. D’ailleurs les auteurs se présentent eux-mêmes comme des rêveurs, ce qui renforce le côté hommage de l’entreprise. À Kadath coexistent toutes les races, tous les dieux — dont l’importance varie en fonction du nombre de rêveurs adeptes de leur culte —, y compris les anciens dieux et bien sûr les grands anciens comme le fameux Cthulhu.

Le récit est parsemé d’illustrations de Nicolas Fructus, alternant ambiances horrifiques et visions oniriques où l’on discerne l’empreinte de l’expressionisme et des influences de Frazetta, Giger mais aussi de Philippe Druillet, dessinateur français (Lone Sloane, Salammbô), un peu retombé dans l’oubli du grand public aujourd’hui.

Saluons donc une entreprise digne de sympathie, qui ravira les amateurs du reclus de Providence et de fantastique ainsi que tous les joueurs du jeu de rôle l’appel de Cthulhu qui fit les délices de nombre d’étudiants il y a quelques années.


Sylvain Bonnet

Sous la direction de David Camus, Le Guide de Kadath, illustrations de Nicolas Fructus, Éditions Mnémos, novembre 2010, 155 pages, 36 €
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