Edouard Ganche, "Le Livre de la Mort" : pour les amoureux de beaux textes

Personne n’échappe à la Mort. C’est à la fois une malédiction qui touche les plus grands saints et une bénédiction qui élimine aussi les pires salauds. C’est également un thème littéraire universel et qui restera éternel, malgré les progrès médicaux.
Tous les écrivains, ou presque, ont consacré au moins quelques pages à La Grande Faucheuse. Pourquoi, sur ce sujet, le livre d’Édouard Ganche se distingue-t-il ? D’abord, parce qu’il est entièrement consacré à la Mort, dans toutes ses déclinaisons et ses conséquences. Puis, parce que l’auteur le traite comme une réalité physique, en décrit les étapes, les effets, le déroulement. Enfin, Édouard Ganche, athée, n’habille pas cette rupture de parures religieuses, ne la décrit pas comme un passage vers une vie meilleure pour les plus vertueux, une vie infernale pour les plus malhonnêtes. La mort est une phase biologique, une étape incontournable et Ganche la décrit comme telle. Le Livre de la Mort se compose de treize nouvelles, écrites entre 24 et 26 ans, qui ont un lien direct avec ce que l’auteur appelle la Triomphatrice éternelle. Il évoque ainsi les causes comme la maladie, la misère, les lieux où sont placés les corps temporairement ou définitivement, les psychoses qu’elle suscite ou qu’elle déclenche et, comme une parodie, une série de Litanies dans la meilleure veine des invocations religieuses qui glorifient des dieux inflexibles et cruels. Ces textes s’attachent à dépeindre la mort telle qu’elle apparait aux vivants, allant au-delà puisqu’il ajoute : « Cette vision réservée au secret de la tombe produisait... »

En treize textes, l’auteur brosse un panorama complet, sans concessions, sans complaisance ni voyeurisme, des manifestations de la mort. D’où vient, pour Edouard Ganche, cette monomanie de la Mort dans la première partie de sa vie ? On peut avancer une inclinaison naturelle, mais cette obsession vient plus sûrement de sa tendre enfance. Fils d’un médecin de campagne bretonne, il a, dès huit ans, accompagné son père dans ses tournées de clients, été confronté à la maladie, à la mort. Son père, qui semble avoir beaucoup compté pour lui tombe malade et décède rapidement quand Edouard à treize ans. Naturellement, il se destine à des études de médecine qu’il devra interrompre pour des raisons de santé.

Ces nouvelles parues dans des revues, ont été réunies en un recueil en 1909. Ce livre a disparu quelques mois après sa publication, non à cause de son contenu, mais en raison d’un différend commercial entre deux éditeurs.
En 1938, l’auteur entreprend de remanier entièrement Le Livre de la Mort pour en faire paraître une édition définitive. Le recueil qui est édité aujourd’hui est celui voulu par l’auteur avec les corrections, modifications, ajouts...

Ces textes sont mis en valeur par des images singulières, des expressions frappantes, des énumérations d’une grande diversité. Son écriture fluide, d’un caractère distingué, avec un vocabulaire riche, diversifié, recherché, érudit, voire précieux, qui fait déplorer ces trop nombreux romans d’aujourd’hui aux vocables limités, pauvres en images et qualificatifs.

Mais Edouard Ganche est célèbre pour une autre raison. En 1906, alors qu’il rédige ses contes macabres pour différentes revues, il découvre la musique de Chopin dans une série de récitals donnés sur l’orgue monumental du Trocadéro. C’est une révélation ! Il retrouve en lui « ...ce stoïcisme lucide qu’il saluait déjà chez les paysans de Baulon ; qu’il admirait chez son père... » Il consacra une large part de son énergie à faire découvrir Chopin, la réalité de sa musique et devint le spécialiste du musicien, auteur d’ouvrages qui font encore références aujourd’hui.

Ce recueil est complété par un travail bibliographique remarquable assuré par des amateurs éclairés, amoureux de beaux textes et d’une littérature différente. Trois articles retiennent l’attention.
D’abord L’Ivre de la Mort de Philippe Gindre qui dresse une biographie érudite de l’auteur et un détail des modifications apportées par l’auteur dans ce qu’il voulait être la version définitive.
Puis La Mort en face de Philippe Gontier qui replace les écrits dans le contexte de la fin du XIXe et début du XXe siècle avec des mouvements comme le décadentisme, les influences de Baudelaire, de Poe....
Enfin, Philippe Gindre retrace, en cinq pages, l’histoire du Transi de René de Châlon, la sculpture du XVIe siècle qui orne la couverture.

Le Livre de la Mort est édité par La Clef d’Argent, une association qui publie les littératures de l’Imaginaire relevant de l’Étrange et du Fantastique.
Pour se procurer ce livre, que vous ne trouverez pas dans les rayons des supermarchés de librairie, vous pouvez le commander sur le site au prix de 13 €. (Le port est offert).

Serge Perraud

Edouard Ganche, Le Livre de la Mort, coll. "KholekTh", La Clef d’Argent, février 2012, 278 p. - 13,00 €

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