"Le Feu de Dieu", la fin du monde selon Pierre Bordage

L’Apocalypse selon Bordage

L’idée de fin du monde, d’une possible extinction brutale de l’humanité, des repaires sociaux tels que nous les connaissons est une notion récurrente ancrée au cœur même de la science-fiction.  Le genre nous a offert de belles perles mais aussi de grands moments de ridicule à travers ses différents médias littéraires ou cinématographiques. Au point que le sujet, pourtant poignant, est ouvert aux controverses les plus « optimistes » tant il n’intéresse plus personne aujourd’hui. Notre société n’est plus encline à l’eschatologie médiévale et le passage à l’an 2000 était plutôt propice à une grande fête mondiale plutôt qu’aux présages d’un désastre cosmique comme pouvait le craindre nos ancêtres. Ainsi, malgré l’alerte de quelques écologistes, notre devenir final n’importe plus personne hormis un genre littéraire plus caution à loisir qu’à une véritable réflexion.

Pourtant, la démarche de Bordage à travers le Feu de Dieu force l'admiration au regard du travail d’anticipation accompli, mais inquiète aussi face aux possibles dérives sociales qu’un cataclysme de grande ampleur engendrerait.

La France, futur proche, peut-être demain. Franx un intellectuel un peu idéaliste s’est retiré en province avec d’autres familles pour y crée une simili forteresse, le Feu de Dieu afin de survivre à un cataclysme planétaire imminent. Croyant dur comme fer à certaines prédictions, il investit temps, agent et vie sociale dans ce but. Son couple est à l’agonie, ses enfants le haïssent, les autres familles l’accusent d’escroquerie et s’en vont. Il est si sûr pourtant… Et puis lors d’un ultime séjour à Paris,  le pire survient. S’ensuit alors une chevauchée de cinq cents kilomètres dans une France dévastée flanqué d’une gamine muette et étrange à la limite de l’autisme. Pour rejoindre les siens, il devra affronter fous, pillards et conditions environnementales désastreuses, un périple de longue haleine quasi-impossible.  Tandis que les siens sont pris au piège avec un redoutable psychopathe…

Avec Le Feu de Dieu, Bordage réussit le tour de force d’entrevoir d’un œil nouveau un thème maintes fois abordé par le genre. Son œuvre est littéralement jonchée de structures en parallèle et d’oppositions marquée à la fois par les protagonistes mais aussi à travers les thèmes abordés. À commencer par la structure même du récit qui nous offre une vision certes classique mais diaboliquement efficace des péripéties de Franx puis celle de sa famille. La force d’un tel découpage provient du profond antagonisme environnemental entre les deux partis ; pour Franx, un espace désert rempli uniquement par les couleurs de fin du monde jonchant un chemin sans fin, et pour sa famille un huis clos oppressant au sein même de l’abri qui devait la préserver des menaces extérieures. Mais pour tous, c’est le même enfer quotidien, une lutte pour la survie de tous les instants dans un monde en proie à la sauvagerie la plus inquiétante de l’homme. 

Car là est la force de l’œuvre de Bordage. À travers un portrait de fin du monde, il dresse un constat édifiant mais probable des plus bas instincts de l’humanité. Le Feu de Dieu se révèle donc comme un vaste champ sociologique à l’intérieur et à l’extérieur. Que signifie donc la fin de l’humanité ; une chute des systèmes technologiques, géopolitiques, des valeurs matérielles tels que nous les connaissons ? Où est ce tout simplement la fin d’une codification sociale, d’une stabilité basée sur des échanges, des repères moraux  et des valeurs qui nous empêchent de s’adonner à nos pires desseins ; la fin de notre humanité en somme. Là est donc tout le tour de force de Bordage, un stupéfiant rendu sociologique au travers d’un récit de voyage et de huis clos.

Certes tout n’est pas parfait ; on peut rechigner face au certain moralisme final et aux thèses darwinistes mises en avant avec les deux enfants prodiges. Mais Le Feu de Dieu est indéniablement une réussite qui ne fait que renforcer un peu plus l’aura de son auteur.

François Verstraete


Pierre Bordage, Le Feu de Dieu, Au Diable Vauvert, mars 2009, 492 pages, 23 € 
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