Poul Anderson, "Tau zéro" : Le grand trek

À bord du vaisseau spatial Leonora Christina, conçu pour les voyages de longue durée, une centaine d’hommes et de femmes partent en direction de l’étoile Beta Virginis, en quête d’une nouvelle Terre. En pleine traversée d’une nébuleuse, le vaisseau est endommagé : le Leonora Christina se retrouve désormais condamné à une accélération continue, dans l’espace et dans l’avenir, sans aucun espoir de retour.

 

« Le Leonora Christina traversa le noyau galactique en vingt mille ans. Pour ses occupants, cette étape de son périple se mesura en heures. »

 

Les siècles deviennent des minutes et les millions d’années des mois… Les officiers scientifiques cherchent une solution tandis que l’ambiance au sein de l’équipage se dégrade et que le désespoir gagne certains.

 

Pour ce roman, Poul Anderson est parti d’une trame classique : le vaisseau lancé dans l’espace, sans contrôle, porteur des derniers survivants de l’espèce humaine. On pense par exemple à Croisière sans escale de Brian Aldiss (1959). Son originalité tient dans sa volonté d’être plausible, tant dans la peinture du groupe et de ses réactions qu’au niveau de la crédibilité scientifique des hypothèses qui sont à base de son roman.

 

Les vertiges de la hard science

 

Pour comprendre l’odyssée du Leonora Christina, Roland Lehoucq, astrophysicien et collaborateur de la revue Bifrost, explique bien comment Anderson a pris et développé l’hypothèse avancée par le scientifique Robert Bussard. Ce dernier proposait la conception d’un dispositif qui « aspirerait » l’hydrogène interstellaire pour le consommer dans un moteur à fusion thermonucléaire. L’auteur fait ensuite appel à la théorie de la relativité, en imaginant que le temps s’écoule différemment sur le vaisseau et sur Terre : le voyage jusqu’à Beta Virginis durera 33 ans en théorie… jusqu’au dérapage final où le Leonora Christina accélère et accélère encore.

 

Anderson se rattache là à la Hard Science, courant très influent aux États-Unis, mais peu populaire en France - est-ce la raison de l’absence de traduction dans les années 70-80 ? -, illustré entre autres par Larry Niven qui obtint d’ailleurs avec l’Anneau-monde le prix Hugo en 1971 face à Tau Zéro.

 

L’auteur ne néglige pas ses héros. Il prend plaisir à peindre un groupe hétéroclite dont émergent les figures d’Ingrid Lindgren, l’officier en second et de Charles Reymont, l’officier de sécurité. Comme le livre date des années 70, on sent une atmosphère de libération sexuelle - chacun change de partenaire, non parfois sans tension - typique de l’époque. Ce qui prouve au demeurant que la hard science est loin d’être bégueule. Les réactions de l’équipage sont assez bien rendues : angoisse, dépression suite à la perte de la Terre, panique : on est finalement dans un huis clos qui, psychologiquement, fonctionne bien. Toutefois, on peut regretter le ton de certains dialogues, emphatique au point de parfois sonner faux. Étrange, car dans les nouvelles compilées dans le Chant du Barde paru récemment, Anderson ne montrait pas ce genre de faiblesses.

 

Il n’en demeure pas moins que Tau Zéro est une des grandes réussites de son auteur. Les ambitions scientifiques du roman, l’impression de vertige qu’il nous communique au fur et à mesure que les siècles passent, l’émerveillement aussi - l’expression anglaise sense of wonder, difficile à traduire correctement, restitue mieux l’effet d’un tel livre sur le lecteur - rendent Tau Zero précieux pour chaque amateur de science-fiction, qui se devra de le posséder dans sa bibliothèque.

 

Sylvain Bonnet

  

Poul Anderson, Taux zéro, traduit de l’anglais (US) par Jean-Daniel Brèque, Éditions Le Bélial, 304 pages, juin 2012, 20 € (Couverture de Manchu, postface de Roland Lehoucq)

Aucun commentaire pour ce contenu.