"Coulez mes larmes, dit le policier", Dick est amour


 

Le mythe Dick


Auteur de deuxième zone la majeure partie de sa vie, Philip K.Dick est aujourd’hui considéré comme un des écrivains majeurs de la science-fiction américaine de la seconde moitié du 20ième siècle, en partie grâce aux adaptions cinématographiques de ses œuvres : Blade Runner (1982), Total Recall (1991) et Minority Report (2002). Pendant sa carrière, Dick a publié bon nombre de romans pour des raisons alimentaires. Lorsqu’il commence Coulez mes larmes, dit le policier, il traverse une période difficile, où il arrêtera même d’écrire un moment. La parution du roman sonnera comme un renouveau, tant personnel que créatif.

 

Les distorsions de la réalité

 

Fruit des manipulations génétiques menées par le gouvernement, Jason Taverner est ce qu’on appelle un « six ». Beaucoup plus intelligent que la moyenne, il est devenu un animateur télé célèbre, une star. Un matin pourtant, il se réveille et personne ne le reconnait. Jason Taverner n’existe pas. Taverner se procure des papiers, essaie de ne pas attirer sur lui car la planète semble soumise à un état policier, voire totalitaire (les étudiants sont persécutés, les noirs ne peuvent faire qu’un enfant, etc…). Taverner renoue avec une ancienne maîtresse mais ne peut échapper à la police qui l’arrête. Une police qui elle-même est surprise de sa non existence. Interrogé par le général Buckman, Taverner ne nie rien, dit la vérité, à un point que son interlocuteur finit par le croire et le relâche (avec une micro bombe dans le corps tout de même). Libre, Taverner est abordé par la sœur de Buckman qui lui propose de prendre de la drogue : tout bascule…

 

Derrière le miroir

 

La drogue, la réalité qui se distord, les mutants, la description d’un état policier… Ce roman comporte nombre d’éléments traditionnellement « dickiens ». Ce roman décrit une Amérique totalitaire, reflet déformé des années Nixon (Dick détestait ce président et était persuadé d’être surveillé par le FBI).


Pourtant, Etienne Barilier explique que la scène clé du livre (et ce dès le plan du livre) est celle où le général Buckman étreint un noir dans une station service. Scène troublante sur plus d'un point (le noir a plusieurs enfants, ce qui veut dire que Buckman n'est plus dans sa réalité mais une autre, la nôtre?), elle témoigne de la volonté avouée de Dick d’écrire un roman d’amour, avec un personnage central peu sympathique (très intelligent, Taverner n’a que peu d’émotions) et un policier à la fois redoutable et très humain. Le résultat est curieux, indéniablement marquant (une fois refermé, ce roman hante le lecteur) et troublant. S’il ne constitue pas la porte d’entrée la plus « facile » vers l’œuvre de Philip K.Dick, Coulez mes larmes… constitue néanmoins une vraie réussite de l’auteur, aux côté du Maître du haut château, d’Ubik et de SIVA.

 

Sylvain Bonnet

 

Philip K.Dick, Coulez mes larmes, dit le policier, traduit de l’anglais (US) par Gilles Goullet, postface d’Etienne Barilier, J’ai lu nouveaux millénaires, août 2013, 285 pages, 18 €

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