Avec "Attention Dieu méchant" Shalom Auslander pousse le blasphème encore un peu plus loin, et c'est jouissif

Qui peut se permettre les pires propos sur l'haulocoste et les pires railleries sur la foi et les juifs, tout en mettant en scène un rappel des nombreuses ignominies dont le « peuple élu » a été la victime, sinon le trublion de la judéité qu'est Shalom Auslander, déjà  tant remarqué avec sa Lamentation du prépuce (1) ?

D'un ton mordant et très drôle entre un Roberto Benini (celui de la Vie est belle, 1998) et un Woody Allen (désamorcé dans le texte même, comme s'il s'agissait d'une évidence contre laquelle se prémunir :  « l'assimilation, c'est quand on cesse d'être Juif, par exemple comme Woody Allen »), et dans la grande tradition de l'humour juif (2), sans doute le plus corrosif de tous, Attention Dieu méchant (3) est une suite de nouvelles qui portent toutes sur la foi, celle qui édicte de manière maladive nos faits et gestes et empêche de vivre ou celle — la plus drôle de toutes — qui ouvre Bobo, chinpamzé en cage, à la conscience reflexive et lui fait admettre « nous ne sommes rien de plus qu'une bande de singes à la con ! »

Rien n'est épargné par la corrosion d'Auslander, pas même les camps de concentration et les trains de la mort, dans un « kit de préparation à l'Holocauste pour ados » qui alterne les conseils un peu limite (« Quand on vous met dans un wagon à bestiaux, essayez de trouver une place près d'une fenêtre ») et les rappels des crimes, des expulsions massives, des interdits, des privations collectives et ethniques qui font l'histoire des Juifs. Les Saintes Ecritures y passent aussi, quand un archéologue trouve des tablettes qui sont reconnues pour « le plus Ancien Testament de tous les Anciens Testaments », qui a été reproduit à l'identique par tous les moins Anciens Testaments, à l'exception notoire d'un court paragraphe : 

« Ce qui suit est une oeuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne pourrait être que fortuite. » 

À réserver aux adorateurs du Desproges grinçant, du second degré très excessif et de la liberté de penser le plus grand mal de ce qui nous constitue en propre, de ce qu'on aime et de ce à quoi on est attaché le plus tendrement. 


Loïc Di Stefano


(1) Belfond, février 2008, 10/18, août 2009

(2) Lire notamment Mots d'esprit de l'humour juif (Victor Malka, Le Seuil, « Points », janvier 2006, 6 EUR) et Comment ça va mal ? L'humour juif, un art de l'esprit (Gérard Rabinovitch, Bréal, novembre 2009, 16 EUR)

(3) Le titre rappelle à merveille ces panneaux « attention chien méchant » qui fleurissent en toute illégalité — car il est interdit de posséder un chien méchant, donc l'afficher étant l'affirmer, tout afficheur se met en disposition d'être pénalisé et le chien piqué ! — sur les portails des pavillons de banlieue, et le titre original ajoute à cette proximité une assonnance amusante, Beware of God avec le Beware of dog qui fleurit sur les portails des pavillons de banlieue. 

Shalom Auslander, Attention Dieu méchant, traduit de l'anglais (USA) par Bernard Cohen, 10/18, novembre 2010 (Belfond, septembre 2009), 155 pages, glossaire des termes hébreux, 7 euros
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