"Sur les névroses de guerre", la psychanalyse en congrès à Budapest en 1918

GERMANICAN PSYCHO

Budapest, automne 1918. La psychanalyse n’allait pas passer à côté des conséquences des quatre années qui viennent de s’écouler. La Première Guerre Mondiale avait fait sa petite dizaine de millions de morts, sa vingtaine de millions d’invalides, les hommes de toutes les nations européennes ne s’étaient encore jamais retrouvés face à une boucherie d’une telle envergure, opérée avec un tel acharnement et de tels outils… Ces quatre années auront affecté tout le monde, toutes les catégories de population, toutes les industries, toutes les disciplines. 

Le gratin de la psychanalyse mondiale se réunit donc lors du Ve Congrès International de Psychanalyse à Budapest, et une grande partie de cet évènement allait être consacrée aux névroses de guerre. Les organisations étatiques étant, à ce moment précis, en complète déliquescence, les psychanalystes étaient sans doute les mieux placés et pour se pencher sur le sujet et pour tenter d’y trouver une solution, ou du moins d’étendre le champ de nos connaissances en ce domaine. 

Le volume des éditions Payot réunit différents textes de trois pontes de la psychanalyse : une introduction de Freud, puis les contributions au congrès de Karl Abraham et Sandor Ferenczi, dans lesquelles ce dernier récapitule notamment les travaux en langue allemande sur les névroses de guerre. 

La guerre révélatrice

Que l’on soit adepte de la psychanalyse ou non, il y a des éléments véritablement passionnants dans ce petit recueil. D’un point de vue historique, d’abord, car c’est la première fois que des êtres vivants doivent faire face à de telles nouveautés guerrières, avec les traumatismes qui s’ensuivent tels que « l’hypnose des batailles », « le syndrome du vent de l’obus », « le shell shock »… Des chocs dus à l’environnement extérieur bien sûr mais aussi des chocs internes, sur lesquels se focalisent ici Abraham et Ferenczi. L’intensité des batailles de la Grande Guerre a plus que jamais mis à jour la contradiction, le conflit entre l’ancien moi pacifique et le nouveau moi guerrier. La guerre de 14-18 devient un véritable révélateur des pulsions humaines, des instincts qui saisissent l’homme disposé à mourir mais aussi à tuer. 

Ferenczi et Abraham s’emparent alors d’une série d’exemples pour démontrer à quel point l’élément psychique est la composante essentielle des névroses de guerre. L’illustration la plus percutante est celle de cet individu dont tout le côté gauche est en proie à un tremblement permanent : soufflé par un obus sur sa gauche, si le cerveau – qui fonctionne de manière asymétrique – était réellement endommagé, c’est le côté droit de son corps qui aurait dû entrer dans un dysfonctionnement total. L’homme semble donc trembler par peur rétroactive de l’explosion qui a eu lieu sur son côté gauche. Ces aperçus de traumatismes sont d’autant plus intéressants que les deux scientifiques décortiquent  le temps que met la névrose à apparaître après le choc, la disproportion entre l’intensité du traumatisme et l’ampleur des manifestations psychiques montrant les différences entre les individus prédisposés aux névroses et les individus « sains »…

To be or not to be… freudien ?

Un des problèmes que pose cet ouvrage est lié à l’esprit freudien qui règne sur l’ensemble. Car Freud est aujourd’hui l’objet de telles controverses qu’il sera difficile pour le lecteur d’être totalement objectif face à ces textes. Une bonne partie des contributions d’Abraham et Ferenczi, freudiens de la première heure, porte sur la dimension sexuelle des névroses de guerre et il semble que des phrases telles que « Les troubles mentaux apparus en campagne ne sont que rarement délirants. Mais, s’il y a délire, il y a contenu sexuel manifeste » ne peuvent faire face qu’à deux types de réaction : la conviction ou le sarcasme. Si le renvoi au stade narcissique, ou le fait qu’un membre mutilé puisse constituer en quelque sorte une « nouvelle zone érogène » sont des angles d’approche originaux et assez séduisants pour un esprit non freudien, bon nombre de thèses sur l’importance de la libido dans le développement d’une névrose due à une pluie d’obus peuvent sembler un peu fumeuses. 

Mais c’est là le problème majeur de ce recueil : publié comme un livre « grand public », il ne l’est pas du tout. Outre l’emploi sans explication de termes tels que « tabétique », « ataxique », « anamnèse », « hyperesthésie », « hyperacousie », « photophobie », « classification nosographique » de tel ou tel syndrome… qui mériteraient soit une véritable connaissance en étymologie soit un certain nombre de notes de bas de page, ces écrits peuvent paraître relativement obscure pour le néophyte de la psychanalyse. Et pour ce dernier, le plaisir découlera surtout des observations d’Abraham et de Ferenczi qui découlent d’un certain bon sens…


Matthieu Buge


Sigmund Freud,  Sandor Ferenczi, Karl Abaraham, Sur les névroses de guerre, Payot, « Petit bibliothèque », septembre 2010, 134 pages, 6,50 € 


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