Simone ou les emballements du cœur

L’écrivain et journaliste Simone Morgenthaler dédie son nouveau livre aux raisons impérieuses d’un cœur invaincu, avec ses inflexions et ses percussions, égrenées sans emphase en perles de sagesse intimistes.
L’ancienne animatrice vedette de France3 Alsace Simone Morgenthaler ne pensait sans doute jamais devoir écrire un jour sur l’état de son cœur et la cadence de ses battements. Mais voilà : un beau jour, celui-ci s’est emballé.... Et cet emballement d’un cœur soudain rétif ou rebelle porte un nom clinique : la fibrillation atriale.
Au repos, le cœur bat normalement au rythme de 60 à 100 pulsations à la minute. Une arythmie cardiaque se produit lorsqu'il bat irrégulièrement, trop lentement ou trop rapidement. La fibrillation atriale (FA) se caractérise par une accélération et une altération du rythme cardiaque. Cette pathologie touche  l'Occident et  gagne du terrain  partout où les progrès technologique s'emballe dans une fuite en avant sans finalité humaine.
Lignes de vie
La journaliste descend d’une famille de bûcherons et de schlitter : elle est du bois dont on fait les bonnes histoires. Alors, pas question d’en laisser une se perdre. Surtout si elle mène quelque part, c’est-à-dire encore plus loin vers plus de ferveur, serait-ce dans un monde de sans-cœur... Justement, celle-ci la ramène au fondement d’une vie et lui permet de dispenser de pleins fagots de petits bonheurs qui ont force d’évidence : Je sais maintenant que chaque matin est une renaissance. Et j’accueille chaque aube nouvelle comme un cadeau.
Jusqu’alors, elle avait papillonné entre radio, télé, presse écrite et édition, en français ou en alsacien. Ainsi son livre papillonne-t-il d’une perle ou d’une douceur à l’autre comme on fend la nuit d’un battement d’ailes... Elle avait fait son métier honnêtement pour faire aimer les gens d’ici. Désormais, en reprenant le fil de l’écriture, coupé un long moment, elle renoue avec la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vraie vie. Quelque chose qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n’existe pas encore, la vie continue quand même, envers et contre tout, jusque dans la douloureuse sagesse dispensée par un cœur mésaventuré mais invaincu : Le matin porte l’espérance. Je renais chaque matin, autre, en essayant d’être chaque matin un être meilleur que la veille.
C’est ainsi qu’est tenue la promesse de chaque matin, quand elle s’écrit en résonances subtiles, si légères et tintantes face au surgissement de l’impermanence de l’être jeté au monde. Cette impermanence est manifestée en son plus tragique éclat dans la vérité de la phrase qui desserre l’étau et rend le cœur à son battement. La phrase brève laisse à nouveau affleurer la joie d’être dans le bouillonnement du sang...
Son affaire de cœur s’étale sur cinq ans – un bail, certes révocable mais reconduit en ses signes moteurs jusqu’au toucher des draps et de la terre sous ses pieds. Le seul traitement  disponible est le stimulateur cardiaque, c’est-à-dire l’électro-entraînement qui vient à la rescousse de son cœur. Celui-ci bat trop fort le jour et trop lentement la nuit.
Fin septembre 2021, voilà son cœur appareillé, avec la pose d’un stimulateur. Et la voilà plus que jamais arrimée à sa ligne de vie – attentive aux couleurs du fragile comme de l’invisible et du menacé, toujours à partager en un nuancier qui distille ses vapeurs d’âme dans le magnétisme retrouvé de la Terre : Je ne me suis jamais sentie aussi bien que depuis que mon cœur est entré en pagaille. Je n’ai jamais autant senti la petite fille en moi, celle qui s’émerveille, celle qui s’interroge, celle qui respire la vie à plein poumons, qui la prend à bras-le-corps lorsqu’elle devient rétive.
Ses ascendants étaient venus de Suisse pour repeupler une Alsace dévastée par la Guerre de Trente Ans. Avec eux, elle a en partage l’amour de la forêt, de la nature et des arbres dont la durée de vie dépasse infiniment celle des humains.
Enfant, elle accompagnait son père au Fossé des Pandours, cette décharge publique à ciel ouvert où il jetait ses vieux journaux et détritus transportés dans sa Kütsch – un landau qui servait également à rentrer l’herbe fraîchement fauchée dans les prairies. C’est là qu’elle a découvert son premier livre – il était américain et s’intitulait My Teddy Bear.
Son père avait appris le métier de sculpteur sur bois  et sculpté un temps, à l’usine horlogère Vedette de Saverne, à la chaîne, des horloges qui donnent le son de la cloche de l’abbaye de Westminster et équipent chaque maison du village natal de Haegen…
En septembre 1972, alors qu’elle allait entamer sa seconde année au Centre de journalisme de Strasbourg, Simone fait les vendanges dans le Midi – sans savoir que son père se meurt dans l’Est…
Après sa licence  de journalisme (1974), elle fait également une licence en langues appliquées à Paris IV-Sorbonne et obtient un diplôme de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris avant de devenir l’une des voix les plus familières de la radio et de la télévision alsaciennes. Aussi, Simone opte d’abord pour la presse écrite, avec ses mots choisis - afin de ne pas se mettre en danger, conformément aux enseignements de son père qui lui avait appris les vertus du silence...
De lui, il restait, dans le corridor de sa maison d’enfance, des hirondelles sculptées, peintes en bleu foncé et blanc- et leur élan libérateur, dans l’imminence de l’envol.
Un envol qui aurait pu être le sien, comme le rappellent les pages de ce carnet du grand chemin, refermé comme une porte battante sur la mémoire déchirée d’une éternité si fragile  dans son immanence. Ce dialogue avec la gravité se poursuit à fleur de mots rendus à leur vérité nue, dans un livre-offrande dont l’artiste Sylvie Lander a signé la couverture : elle représente le cœur  vibrant d’une fleur, en rappel à cette communauté de destin du vivant en une mélodie ininterrompue de ce qui nous anime... Ce que nous signifie la feuille, en sa fringrance gaillarde : l’appartenance au genre Homo n’est-ce pas celle à la terre, humus ?

Michel Loetscher

Simone Morgenthaler, Cœur qui bat, La Nuée bleue, avril 2023, 152 p.-, 18€

Première version parue dans Les Affiches d'Alsace et de Lorraine

Aucun commentaire pour ce contenu.