Pour un nouveau monde, les utopistes bretons au XIXe siècle, un essai de Jean-Yves Guengant

 

 

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La période post-révolutionnaire en France n’a pas seulement été marquée par des bouleversements politiques de grande ampleur. Avec l’essor de l’industrie qui déplace les populations des campagnes vers les villes, les relations sociales ont été profondément modifiées. L’effritement de l’ancien monde, s’il pouvait être générateur d’incertitude et d’angoisse face à l’inconnu, ouvrait aussi la porte à des conceptions et des expériences inédites. Tout était à réinventer. Parmi les hommes qui se sont engagés dans ces voies nouvelles figurent en bonne place Charles Fourier et Saint-Simon que l’on a désignés sous le nom d’utopistes ou de socialistes romantiques, souvent pour les dénigrer et les faire passer pour d'inoffensifs rêveurs. Ils eurent d’ardents disciples qui contribuèrent à faire connaître leur doctrine par des conférences à Paris et dans les grandes villes de province.

Jean-Yves Guengant vient de publier aux éditions Apogée un essai consacré à quelques-uns d’entre eux : « Pour un nouveau monde, les utopistes bretons au XIXe siècle ». Ce livre est l’œuvre de toute une vie. Passionnant et remarquablement documenté, il retrace l’itinéraire de ces personnages trop souvent méconnus qui, sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire notamment, ont cherché à façonner, au cœur même de la Bretagne que l’on croyait isolée et attardée, un monde plus fraternel et plus juste. D'abord attirés par le saint-simonisme, souvent ils s’en éloigneront, profondément déçus par les rituels et les extravagances mégalomanes de son gourou, Prosper Enfantin, par ailleurs grand capteur d’héritages. Ils se rallieront par la suite aux thèses de Charles Fourier qu’ils chercheront à adapter au monde agricole par de nouvelles pratiques. Ainsi Louis Rousseau cherchera-t-il sa voie entre fouriérisme et catholicisme social pour créer en Finistère nord, sur des terrains conquis sur la mer,  une ferme-modèle qu’il nommera Keremma en hommage à son épouse, Emma. Le vaste projet associatif qu’il voulait y développer, avec un autre mode d’organisation sociale, ne verra cependant jamais le jour, faute de moyens financiers. Quant à Charles Pellarin, il mettra ses compétences médicales au service de l’École sociétaire et plaidera pour une médecine préventive, la lutte contre les habitations insalubres, la malnutrition. Il deviendra par ailleurs le premier biographe de Charles Fourier. Écrivain prolixe, le morlaisien Émile Souvestre se fera dans certains de ses livres le propagateur des idées saint-simoniennes et des pratiques de Louis Rousseau. Édouard de Pompéry, admirateur de Flora Tristan, grand défenseur des droits des femmes et fouriériste convaincu, mais découragé par les échecs des expériences successives, se tournera à la fin de sa vie vers le socialisme naissant, sans pour autant renier son idéal « sociétaire ». L’une des figures les plus marquantes de ces utopistes bretons est indéniablement Paul de Flotte. Cet officier de marine qui fit deux fois le tour du monde, qui fut l’un des créateurs du groupe phalanstérien brestois, et par ailleurs inventeur, fut l’ami de Leconte de Lisle, de Louis Ménard, de Baudelaire, d’Alexandre Dumas, de Victor Hugo, qui l’appréciait et l’appelait le « vaillant et profond philosophe combattant de la Révolution ». Après le coup d’état du 2 décembre 1851, il se réfugiera en Belgique. Ayant rejoint Garibaldi, il sera tué dans une charge d’une balle en pleine tête. Garibaldi lui rendra un hommage vibrant.

Mais le livre de Jean-Yves Guengant ne se résume pas en quelques lignes. Ce n’est pas seulement un document ethnologique exceptionnel sur la Bretagne, et tout particulièrement le Finistère, dans la première partie du XIXe siècle. C’est aussi un voyage au cœur de ces doctrines mal connues, celle de Fourier surtout, et de ces pratiques qui, après la Révolution française, ont tenté de réinventer le monde sur de nouvelles bases.

 

                                              Alain Roussel


Ce livre de Jean-Yves Guengant, "Pour un nouveau monde", a été publié par les éditions Apogée.

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