Soluto, Glaces sans tain :Miroir, mon beau miroir...

L'utilité des glaces sans tain n'est plus à démontrer. Elles permettent de voir sans être vu, de préférence des scènes interdites. Les bordels de jadis en faisaient grand usage. Elles ont un petit côté suranné, évoquent le vaudeville, les alcôves et les portes qui claquent. Qu'on ne s'y trompe pourtant pas. L'usage qu'en fait Soluto appartient à un autre registre.

 

Ainsi, dès l'incipit de la nouvelle qui ouvre ce recueil, le narrateur déclare : "J'ai assassiné puis violé Claire Draingan un soir ensoleillé d'octobre 1974, dans un chemin creux de l'île aux Boeufs". Le ton est donné. Du sang, de la volupté et de la mort. La sècheresse d'un rapport de police, dépourvu du moindre affect, et la précision d'un clinicien. Le récit, à la fois candide et cynique, de l'enquête, de ses méandres, de ses pièges. Les auditions, les suspects. Et, enfin, l'abandon des soupçons.

 

Ce qu'il adviendra ensuite de ce lycéen tout ce qu'il y a de normal, mué en un respectable père de famille, son existence rangée, à peine traversée, parfois, du souvenir de la morte, témoigne que, sous les apparences paisibles, bouillonne tout un monde trouble qu'abritent les tréfonds de l'âme. Le lecteur se retrouve voyeur. Invisible témoin des turpitudes les plus noires qui se manifestent quand on croyait en avoir refoulé le souvenir. Confident de personnages qui se racontent, sans se douter de sa présence derrière la glace sans tain.

 

"Fausses reconnaissances" est aussi précisément daté, dans une période plus récente : l'élection présidentielle de 2007. L'époque où "le petit nerveux électrisait le troupeau des votants tandis que son hallucinée de rivale vibrait comme une guimbarde extatique dans des meetings à sa dévotion". Un tel réalisme ne saurait qu'être le garant de la véracité de la suite. Elle nous est, ici encore, narrée à la première personne par une sorte de brute avinée, qui survit, sans se poser de questions, grâce à des activités marginales. Amateur de femmes, comme nombre de ses contemporains. Et de bagarres où font merveille ses cent-trente-cinq kilos. Anodin et banal, en somme.

 

Sauf que, lui, entend non pas des voix, mais une Voix. Elle lui dit "des choses puissantes et captivantes" (on croirait du Vialatte). Elle le met, dans un bar de seconde zone, en présence d'Elvis Presley. Elvis Aaron Presley soi-même. Le King himself ! Il suivra les conseils de la Voix - jusqu'à ce que celle-ci l'abandonne, au seuil de l'hôpital psychiatrique où ses délires l'ont conduit.

 

Les deux dernières nouvelles sont à l'avenant. "Quelques couvercles soulevés" met en scène un éternel petit garçon, incapable de sortir de l'enfance et rêvant sa vie. Dans "La ménagère apprivoisée", un peintre, dragueur patenté, exerce ses talents dans un supermarché. Tout lui est bon pour séduire une ménagère qui finit par le suivre dans son atelier ("Le coup des estampes est indémodable"). Jusqu'au dénouement, souhaité, dont il tirera des conclusions où le cynisme le dispute au désabusement.

 

Sur le thème de l'arrière-monde tapi sous les apparences, du rêve qui s'affronte à la réalité, Soluto brode quatre variations brillantes, cocasses. Tragiques aussi, mais sans insistance. Son style est nerveux, ses récits rythmés. Bref, ses glaces, pour être sans tain, n'en font pas moins réfléchir. On y prend un plaisir extrême.

 

Jacques Aboucaya

 

Soluto, Glaces sans tain, Editions Le Dilettante, janvier 2013, 254 pages, 17 €


Lire également la critique de Pierre Ahnne.

 

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