58-68 Retour sur une génération - Vers un nouveau cinéma français

GENERATION 60


Voici un vrai livre de cinéma.

J’appelle livre de cinéma, un ouvrage qui s’intéresse à un aspect précis ou une période définie du 7ème art et l’analyse en profondeur sans pour autant être pédant ni didactique. Ici, les auteurs ont choisi de se pencher sur les années 60 du cinéma français. Plus précisément 1958 – 1968.

Bien entendu, il s’agit d’une décennie marquée par la Nouvelle Vague. Mais pas seulement. Oublions ce mouvement qui a déjà fait couler beaucoup (trop) d’encre et intéressons-nous au reste. Car derrière - ou plus exactement en même temps que – la petite bande des Cahiers du Cinéma (composée des « Jeunes Turcs »), il y eut des dizaines de jeunes hommes (très peu de femmes) désireux de se lancer dans l’aventure cinématographique. Grâce à un nouveau matériel performant (caméras légères) et des budgets riquiquis, ils y parvinrent. Certains firent carrière, d’autres pas.

Comme le rappelle ce livre : « Entre le 1er janvier 1958 et le 31 décembre 1968 », 231 premiers films de fiction (à l’exception des films d’animation) ont été produits et réalisés. » Ce qui, pour l’époque, est énorme. 231 nouveaux venus en une décennie ! Ici tous les films sont répertoriés et, ipso facto, les noms de leurs réalisateurs cités. Jean-Pierre Mocky y côtoie Gérard Oury, Éric Rohmer cousine avec Philippe de Broca…

Pour autant, il n’est pas question d’analyser toutes ces œuvres. Cela risquerait d’être fastidieux d’autant que beaucoup de productions sont (à juste titre) oubliées et méritent à peine de n’être projetées qu’à titre de curiosités.

Les auteurs préfèrent dresser un panorama global expliquant pourquoi et comment de jeunes réalisateurs purent entrer dans la carrière et, après un premier film plus ou moins réussi, persévérer. Tous les aspects sont donc évoqués : techniques, économiques, artistiques et même critiques (le chapitre de Vincent Pinel sur ce dernier point est remarquable). Dès lors, on comprend mieux le contexte. Le raz de marée se retrouve, sinon justifié, au moins décortiqué.

Dans la foulée, certains réalisateurs bénéficient d’une analyse un peu plus détaillée. Idem pour certains films (on y parle même des Tontons flingueurs – qui n’eut rien à voir avec la Nouvelle Vague mais qui confirma le talent d’un « jeune loup » du nom de Georges Lautner !).

Tout cela est précis, pointu. Pour une fois, on ne verse pas dans la lourde analyse universitaire. Les auteurs réussissent à ne pas plomber leur propos et même à intéresser sur un sujet délicat.

Pour le cinéphile et le curieux, il s’agit d’une véritable découverte. Un voyage au cœur de la planète cinéma à une époque où de (petits) séismes la secouaient. Quelques chapitres me paraissent inutiles mais au moins le livre ne fait pas l’impasse sur la guerre d’Algérie qui marqua – qu’ils le veuillent ou non – toute cette génération de cinéastes.

Pourtant, au sortir de cette lecture, on a le sentiment d’une immense vacuité. Tout ça pour ça ? Tous ces films pour en arriver à quoi ?... Si l’on excepte l’apport de Godard, la Nouvelle Vague et cette Génération 60 n’ont, finalement, pas changé grand-chose. Il s’agit plus d’une évolution logique (déjà sensible dans d’autres pays) que d’une révolution. La montagne accoucha d’une souris. Mais fut-ce bien une montagne ? Un mont ? Une colline ? Un monticule ? À peine un tas de sable…

Cet ouvrage étant produit par le CNC (Centre National du Cinéma) l’iconographie y est aussi impeccable qu’originale. Le feuilleter suffit à générer le plaisir.


En revanche, je ne m’attendais pas du tout – dans une telle « somme » pondue par des spécialistes dorés sur tranche – à trouver des erreurs. Benoîtement, je faisais confiance. Hélas…

Je signale que Jean Herman, écrivain et réalisateur, est décédé en juin 2015 (p 421).

Le père de James Bond se contentait d’un seul « m » et s’appelait donc Ian Fleming (p 400).

La bourde la plus amusante (mais un peu inquiétante de la part d’historiens) se situe page 397. On y apprend qu’en 1961, le « film français record des recettes » est Le Comte de Monte-Christo (sic) de Robert Dhéry ! D’une part l’excellent Dhéry n’a jamais commis d’adaptation (même loufoque) du livre d’Alexandre Dumas. D’autre part le film record de l’année fut Le Comte de Monte-Cristo de Claude Autant-Lara (qui finit, sur la longueur, par se faire battre par Un taxi pour Tobrouk de Denys de la Patellière). À bon entendeur…



Philippe Durant




 Sous la direction de Frédérique Bredin, 58-68 Retour sur une génération - Vers un nouveau cinéma français,  Somogy-CNC, 455 pages, mai 2016, 29 €

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