Un destin français

Alice, Angèle et Colette de la troisième B. sont des amies unies à la vie, a la mort comme on peut l’être à quinze ans. Colette a un grand frère Joseph qui ne laisse pas Alice indifférente et dont l’évocation la fait rougir. À la maison, malheurs et joies se succèdent : elle vient de perdre sa grand-mère tandis que Réglisse, un chaton facétieux a fait son apparition dans la famille. Le soir, on mange des crêpes, en écoutant la TSF qui égrène de bien angoissantes nouvelles : de l’autre côté du Rhin, un sinistre moustachu profère des menaces. Il a déjà envahi l’Autriche et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Colette, de confession juive est terrifiée par les craintes exprimées par sa tante qui a compris avant tout le monde que les temps à venir seraient terribles.
Très vite, ses peurs se justifient, les Allemands sont là et réquisitionnent une partie du lycée au rythme des alertes et des sirènes. Ne pas faire de vagues, intime la proviseure. Ce n’est pas le genre d’Alice, elle est de la manifestation du 11 novembre 1940 aux Champs Élysées avec son amie et bientôt entre en résistance avec ses parents. Elle distribue des tracts. Son père affirme qu’un seul peut être lu par dix personnes et en convaincre cinq. Elle fonce avec l’énergie et la fougue de ses quinze ans, bientôt elle deviendra experte en faux papiers.
Les parents de Colette sont emportés dans la rafle du Vel d’Hiv, la jeune fille est accueillie dans l’appartement d’Alice avant de disparaître. Au lycée, nombre d’élèves juives se volatilisent du jour au lendemain Et puis, c’est l’arrestation, la déportation, Ravensbruck. Dans les wagons, les êtres humains se transforment en bêtes, sa mère meurt à 39 ans.
Le 6 février 1945, elle est une morte-vivante, mais vivante tout de même. Les Russes qui libèrent le camp ont les larmes aux yeux en voyant l’état des jeunes filles décharnées.
Dans ce roman écrit avec une sensibilité à vif, l’auteure Sophie Carquain, journaliste et romancière engagée, fille d’un résistant s’est inspirée de la Vie de Michèle Agnel, une résistante de la première heure, née en 1925. À travers la fiction, elle fait revivre un destin qui fut celui de nombreux jeunes gens durant la guerre. Depuis l’existence calme et protégée à l’exaltation d’entrer en lutte, à la déportation et au retour des camps pour les plus chanceux pour qui rien ne sera plus pareil. Au Lutétia où sont regroupés les rescapés, les retrouvailles sont vibrantes d’émotion, mais tant de gens manquent, que l’on devine disparus à jamais à l’est et les revenants font si peur !
La jeune femme qui revient d’entre les morts a désormais mille ans et ne pourra jamais oublier. Son seul salut viendra de l’écriture.
L’auteure réussit à traduire ce basculement, ce passage rapide à l’âge adulte sans rien occulter des tiraillements ressentis entre la joie d’être sortie de l’horreur, le malheur d’avoir connu l’enfer, d’avoir perdu des proches et un certain ressentiment envers ceux qui n’ont rien fait pour leur pays, pour leurs proches. De ses deux amies d’avant-guerre, l’une, Colette n’est pas revenue d’Auschwitz, tandis que la seconde, Angèle a passé tranquillement son bac à Paris, ce que ne peut admettre l’héroïne.
Se lisant d’une traite, Alice, 15 ans, résistante est une pépite rare, idéale pour faire comprendre aux jeunes ce que fut l’histoire entre 39 et 45.

Brigit Bontour

Sophie Carquain, Alice, 15 ans, résistante, Albin Michel, septembre 2022, 384 p.-, 14,90 €

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