"Découvrez avec Kant les vertus de l’hypocrisie - 50 paradoxes loufoques de philosophes" : Petit manuel de philosophie ludique

La philosophie ? Inutile. Incompréhensible. Réservée à une élite. Aucune prise avec le quotidien. Alors pourquoi écrire sur l’utilité de la philosophie ? Et surtout, comment convaincre, hors des élites, le lecteur lambda du contraire ? Tout simplement en prêchant par l’exemple : Sophie Chassat part de situations de tous les jours et les rattache à de grands philosophes - Nietzsche, Leibnitz, Spinoza, Sartre, Kant, Hegel, Hume, Lao-Tseu, Deleuze… - et à des réflexions qui, à l’origine, sentent le paradoxe - existe-t-il en effet meilleur exercice que le paradoxe pour tenter d’approcher la vérité ? Avec légèreté, elle explique chacun d’entre eux, mettant en parallèle notre vie et les réflexions philosophiques. En partant donc de postulats pourtant a priori contradictoires : la bêtise pense, l’efficacité naît de l’inaction, la gourmandise est une qualité, la superficialité est preuve de profondeur, faire un cadeau n’en est pas un, le négatif a un côté positif…

« Le superflu, c’est littéralement 'ce qui déborde' (du latin superfluere, 'déborder'). Spontanément, on assimile moins ce débordement à une abondance et à une richesse qu’à une sortie de route : comme quand on dit d’une voiture qu’elle 'déborde' de la chaussée. Prêter attention au superflu, c’est donc a priori être sur la mauvaise voie. Sauf que l’essentiel est peut-être dans ces chemins de traverse qui font découvrir toutes ces petites merveilles que l’on croise rarement sur l’autoroute… »

A la manière d’un Roger-Pol Droit - on pense à ses 101 expériences de philosophie quotidienne -, Sophie Chassat interpelle le lecteur dans son quotidien et l’invite à réfléchir à ce qu’il fait de manière naturelle, et à le repenser à travers la réflexion philosophique des plus grands auteurs, prouvant ainsi qu’ils sont plus proches de lui que le lecteur ne l’aurait d’abord cru. Passant ainsi de lecteur à acteur - mais sans le compte en banque d’un Gérard D., et sans aucune intention de quitter cette terre de France où les penseurs français, à force de longues études sérieuses, réfléchissent presque autant que des miroirs, dans lesquels ils aiment d’ailleurs habituellement tant à se mirer -, notre lecteur/acteur profite du travail de guide de l’auteur qui, en redonnant leur sens premier aux mots, transmet en jouant ; et toute connaissance transmise de manière ludique se retient mieux, surtout quand on devient partie prenante de l’explication. Loin de nous prendre pour des idiots, et nous pardonnant d’être prisonniers d’un quotidien d’où toute pensée autre que directement opérationnelle (« y aura-t-il des bouchons ? Les transports en commun seront-ils à l’heure ? Mon rapport sera-t-il bien vu par mon chef ? Serai-je à l’heure pour récupérer les enfants à l’école ?... ») est souvent bannie, l’auteur se demande, et nous demande : à quoi pourrait bien servir la philosophie si on ne peut la transposer à son quotidien ? Sophie Chassat redonne sens à des textes essentiels en les rendant accessibles, et c’est là tout le mérite de l’auteur que de les mettre ainsi à portée de tous. Elle évite par la même que la philosophie ne devienne, pour citer Kierkegaard (chère Sophie, pourquoi avoir choisi de ne pas l’inclure à votre recueil ?), « comme cette affiche trouvée en vitrine d’un magasin avec écrit dessus 'ici, on repasse' : sitôt apporte-t-on le lendemain son linge au magasin que l’on découvre que l’enseigne était à vendre » ; en français dans le texte, comme le disait une marionnette des guignols de l’info : « on m’aurait menti ? ».

C’est la mission que s’est donnée notre auteur : rendre la philosophie utile au plus grand nombre, tant par son travail quotidien - elle se présente comme consultante philosophe en entreprise (si ! si !) - que par ses articles dans le Huffington Post ou encore sur son blog, le bien nommé Sois brillante (et pas qu’avec ton gloss !).

« Quelle drôle d’époque que la nôtre où le refrain d’une chanson décérébrée se retrouve érigé au rang d’injonction sociale implicite : sous peine de réprobation immédiate (amicale, idéologique ou professionnelle), il nous faut adopter en effet coûte que coûte une positive attitude de rigueur ! Ne pas exprimer nos tristesses, ne pas raconter nos échecs, ne rien laisser transparaître de négatif. Le résultat ? Les profils des réseaux sociaux où chacun donne l’apparence d’avoir tout 'réussi' dans sa vie ou encore les infantilisants smileys toute communication et nous refusent le droit d’interpréter quoi que ce soit dans un sens négatif - car quelle contradiction opposer à un visage rond et jaune qui nous sourit d’un air idiot ? Et si la véritable positivité ne ressemblait en rien à cette guimauve dégoulinante, mais résultait d’un sombre détour, affiché et assumé, par le négatif ? »

Alors on en voudra à l’auteur d’avoir abandonné l’enseignement de la philosophie au lycée et à la fac (elle aurait certainement rendu la matière plus intéressante à nombre de lycéens et étudiants chanceux), à Arte d’employer, au lieu d’une Sophie Chassat, un prétentieux imbu de lui-même pour faire la leçon de philosophie au lieu de la dispenser, pour le seul plaisir de s’écouter parler ; on en voudra à l’auteur de ne pas avoir mentionné Kierkegaard (l’ai-je déjà dit ? désolé, mon côté monomaniaque à la Stefan Zweig, les pulsions suicidaires et le talent en moins). Certes. Mais on ne pourra pas en vouloir à Sophie Chassat d’ambitionner de rendre à la réflexion philosophique un tour ludique qu’elle n’aurait jamais dû perdre - il suffit, pour s’en convaincre, de lire son chapitre consacré à Platon.

Reprendre les plus grands philosophes et les expliquer ne fait bien sûr pas toujours d’un auteur un philosophe (quoique, des fois, certains en sont convaincus, mais par chance, ils ont arrêté de nous punir de leurs sentences vides de sens en prenant, par exemple, la Libye pour alibi - je sais, facile, mais je n’ai pas pu résister - pour se lancer sur le champ politique comme une invasion de criquets sur un champ de maïs en Afrique qui, comme la Libye, d’ailleurs, n’en avait vraiment pas besoin), mais l’auteur met ici la philosophie à portée de qui veut bien se donner la peine de la lire. Il faudra être patient, mais en attendant une suite, on aura toujours le loisir de parcourir les pépites rafraîchissantes qui composent cet ouvrage. D’ailleurs, je vous laisse : la Beauvoir m’appelle…


Glen Carrig

Sophie Chassat, Découvrez avec Kant les vertus de l’hypocrisie - 50 paradoxes loufoques de philosophes, 208 pages, éditions Express Roularta, novembre 2012, 15€
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