Passer le Caravage à la loupe

Voilà une drôle d’idée qui est passée par la tête de l’historien de l’art milanais Stefano Zuffi  qui s’est fait une spécialité de publier des ouvrages de popularisation culturelle… C’est le quatrième volume de cette collection qui présente l’œuvre d’un maître ancien à partir de détails significatifs.
Avec un tel peintre, on peine, en effet, à orienter son regard ici plutôt que là tant la maîtrise absolue de la technique donne de saisissantes images, détails, reflets, que cela relève des natures mortes, des gestes des protagonistes, de l’approche des cinq sens ou de la manière dont le corps est montré, jusque dans ses plus intimes parties…

 

La peinture italienne a, depuis Giotto et pendant des siècles, répondu aux attentes des commanditaires, d’où une certaine monotonie pour un regardeur distant ; mais si vous vous approchez un peu, si vous prenez le temps de regarder, alors là, tout change ! Car tout relève du détail, à Florence ou Milan du temps de la Renaissance – comme ici, de nos jours. Le diable est dans le détail, mais la beauté aussi, l’amour, l’inutile sophistication d’un dandy ou l’harmonie dissimulée d’un bracelet avec la doublure d’une veste. Il y a quelques rares privilégiés qui savent regarder, et les autres…

Soyez donc attentifs, et vous ne le regretterez pas.

 

Le Caravage est l’un des artistes les plus passionnants et les plus puissamment expressifs de ce début du XVIIe siècle, il sera l’acteur d’une véritable odyssée méditerranéenne : il sera surtout le réformateur du cours de la peinture européenne, chamboulant tout sur son passage… Mêlant vie tumultueuse et art sublime dans un tourbillon créatif jamais vu, ni égalé avant trois siècles et l’apparition de Vincent Van Gogh.

 

Cependant, n’allez pas enfermer le Caravage (de son vrai nom Michelangelo Merisi) dans sa légende d’homme de l’ombre, dépravé et criminel violent. Il fut le meilleur peintre de la Ville éternelle et au sommet de sa gloire avant sa trentième année. Il est avant tout un génie, un précurseur qui amorce l’une des transformations les plus rapides de toute l’histoire de la peinture : en seulement quelques années son style sera copié dans toute l’Europe…

Il n’est donc nullement maudit ni un marginal mais bien un artiste pleinement conscient de son talent, donc libre. Mot porteur de peur depuis toujours : celui qui s’affranchit fascine et terrorise à la fois ; il faut donc l’abattre d’une manière l’autre. Certains biographes se sont d’ailleurs perdus dans des tentatives pathétiques...

 

Porté par l’influence de Léonard de Vinci (dans le rendu des sentiments et des émotions), la main de Titien (dans la maîtrise du rendu de la matière dense, les couleurs riches et dans le contraste violent entre le blanc, le noir et le rouge) ou encore la légèreté de Giorgione (dans l’insertion des couleurs et de vêtements éclatants), le Caravage poursuit la veine creusée par les peintres lombards du XVIe siècle tout en l’enrichissant. À commencer par la manière de travailler, ne laissant rien au hasard, construisant dans son atelier des jeux d’échafaudages et des pièges à lumière, imposant à ses modèles tenus appropriées et temps de pose conséquents…

 

Arpentant les tableaux avec sa loupe, Stefano Zuffi présentent détails et œuvres complètes accompagnées de leurs données techniques : jamais tableau n’aura été vu de si près. Une occasion de saisir la corbeille en jonc tressé, l’Amour vainqueur (et nu, tableau qui fit scandale à l’époque) ou encore la tête de Jean-Baptiste sous un angle unique.



 

François Xavier

 

Stefano Zuffi, Le Caravage par le détail, 165 illustrations couleur, 260 x 328, Hazan, octobre 2016, 272 p. – 39,95 €

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