Raphaël, la beauté au plus près

Première merveille, le fond du tableau La Sainte Famille Canigiani, de 1507. Un promontoire rocheux qui élève vers le ciel une houle de toits, deux hauts clochers rivalisant dans la conquête du ciel comme le font deux arbres, à gauche, une lumière diaphane à force de douceur, des bleus et toutes les nuances de bruns pour définir les maisons, des verts également différents pour indiquer les vallonnements de la terre, nous sommes devant un "paysage progressif", sur lequel se détache une pyramide de visages et de corps, chacun regardant l’autre, dans un mouvement d’amour circulaire. Des images de beauté pure comme celle-ci, cet ouvrage en offre à chaque page. Le regard entre dans l’art de Raphaël, dans cette clarté qui n’est faite que de détails qui en assurent l’unité et l’originalité.
Voir le tableau en entier est déjà le gage d’un plaisir esthétique immense, contempler sans hâte ce qu’il a de moins visible, à première vue, le multiplie. Ce fond est admirable, tout est à la fois force et harmonie.
Seconde merveille, cet autre paysage différent et voisin pourtant du premier, dans Le Songe et le chevalier, de 1504. Puis à nouveau il apparaît dans La petite Madone Cowper, puis il se retrouve dans La Madone du Belvédère

Ce qui vaut pour le paysage vaut aussi pour les vêtements, brodés d’or, gansés et bordés, rehaussés de dentelles, chatoyants de couleurs, seconde série de merveilles qu’il faut comparer et analyser pour en saisir les variantes. Cela vaut encore plus pour les armures comme celle du Saint Georges luttant avec le dragon, et aussi pour les chevelures, celles des femmes aux tresses savantes et celles des hommes aux boucles parsemées de feuilles de laurier. Merveilles toujours, ces vues rapprochées pour mieux suivre la construction stupéfiante des voûtes majestueuses qui s’arrondissent au-dessus des personnages de L’École d’Athènes, une œuvre que l’on peut admirer dans la Chambre de la Signature, au Vatican.
À nouveau, autre merveille, l’œil est invité à observer comment un "robuste ange lumineux" libère Saint-Pierre de sa prison, quand son habit irradie, tel une apparition si puissante que les barreaux cèdent à son passage sans la moindre résistance. Et les yeux de ces visages qui convoquent ceux du spectateur, dans une relation d’amitié. Merveille de l’âme humaine que l’artiste étudie et traite comme se penche sur son Fils la Vierge dans le silence et avec patience. Ainsi de ce regard de Baldassare Castiglione, un écrivain lettré et un diplomate établi à Rome, auteur de Il libro del cortegiano, ce portrait tout de finesse et de noblesse que le pinceau de Raphaël restitue dans sa vérité foncière.

 

Mais plus que ces détails qui certes mettent en valeur les tableaux dès lors que l’on prend le temps de les voir, c’est en plus ce savoir du comment "créer l’espace", quand "la perspective linéaire du Quattrocento, mesurable et organisée autour d’un point de fuite central, s’ouvre ainsi à une vision nouvelle, élargie, moderne".
Le temple  que l’on voit dans Le Mariage de la Vierge a une architecture parachevée, solide autant qu’élégante, aérienne autant qu’enracinée, ouverte sur l’esprit autant que fermée aux vanités. Merveille des gestes, d’une éloquence naturelle et en même temps autoritaire, comme cette main d’Aristote qui se tend en avant, ces bras musculeux des pêcheurs de La Pêche miraculeuse. Perfection absolue et harmonie universelle, des notions si difficiles et si infinies, inatteignables que Raphaël apprend, connaît, maîtrise, diffuse dans chacune de ses œuvres.

 

Historien d’art, auteur de nombreux livres, spécialiste de la Renaissance italienne, Stefano Zuffi donne dans son introduction les grandes lignes de la carrière de Raphaël, montrant combien ce génie, en dépit de la brièveté de sa vie, a été au croisement des mouvements historiques de l’art. A Florence, après Urbino et avant Rome, il est le « jeune athlète » face à ces deux géants que sont Léonard de Vinci et Michel-Ange. Il saura vite acquérir cet incomparable talent pour être à son tour leur équivalent et le créateur « d’une beauté immédiate, évidente, sans efforts ni corrections ».

À Michel-Ange la terribilita. À Raphaël la spezzatura, cette éminente qualité qui fait que l’on apparaît d’une extrême aisance, presque détaché,  alors que se cache derrière beaucoup de travail. On revient à Baldassarre Castiglione, pour aboutir à Vasari. Pour lui, "Raphaël n’est plus le cortegiano, il est devenu bien plus, un prince".

Un très bel ouvrage pour marquer l’anniversaire de la mort de Raphaël en 1520.

 

Dominique Vergnon

Stefano Zuffi, Raphaël par le détail, 263 x 328, nombreuses illustrations, Hazan, mars 2020, 224 p.-, 39,95 euro

 

 

Aucun commentaire pour ce contenu.