Sans Picasso : la vie d’après de Dora Maar

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé, et Dieu sait que le Minotaure catalan prenait de la place, toute la place, dévorant muses, maîtresses et épouses à la vitesse d’un cachalot dans un banc de sardines. Mais l’expérience des uns ne bénéficie jamais aux autres, surtout quand vous êtes la coqueluche de Saint-Germain-des-Près, que vos vingt-huit ans rayonnent sur la terrasse des Deux Magots et que vous croyez – à juste titre – avoir le monde à vos pieds…

Dora Maar fait la maline avec un couteau pendant que Paul Eluard et Picasso conversent, comme une gamine qui voudrait que l’on s’intéresse à elle. La lame danse entre ses doigts écartés, de plus en plus vite, le sang perle ici et là mais elle ne s’arrête pas, elle doit absolument marquer le coup.
Picasso finira par se lever en emportant le gant rougi et 1936 sera la date charnière de cette jeune peintre qui photographiait, de cette femme trop libre, trop moderne qui s’enflamma pour une liaison passionnelle et forcément destructrice.
 

Sept ans, n’en déplaise à Frédéric Beigbeder, leur amour fou dura sept ans puis ce fut fini, quelques tableaux homériques et un cadeau de rupture particulier : une maison, à Ménerbes, dans le Luberon, vieille bâtisse en pierres qui deviendra le tombeau de celle qui resta inconsolable…
Stéphan Lévy-Kuentz tisse un florilège de chapitres dans la veine d’un camaïeu sépia qui se marie parfaitement avec les photographies de Jérôme de Staël. En juillet 1997, au décès de la propriétaire, il immortalisa ces lieux que le temps grignotait lentement, Dora Maar laissant à l’abandon une grande partie du domaine et de la maison, sombrant dans une nostalgie qui pourrait s’apparenter à une névrose dévastatrice.

Grâce à la plume poétique de Stéphan Lévy-Kuentz, nous la suivons, elle qui se croit sans témoin, déambulant dans l’allée de graviers, recherchant l’ombre. Elle réfléchit au passé, peint parfois, procrastine beaucoup tout en écrivant…
Quand les frimas s’invitent elle rallume ses poêles et regarde le bois brûler. Les années passent, les souvenirs refont surface, Mougins, les journées passées sur les rochers au bord de la mer, les soirées arrosées, les fêtes, la vie…

Dans l’absurdité du défi de l'existence, les destins se mêlent au même titre que les peaux dans l’éclat des pulsions libérées, chacun s’efforçant de jouer à croire que c’est pour toujours, que demain sera aussi pimenté qu’aujourd’hui. Parfois la roue tourne et l’engrenage se dérègle, les maillons s’affolent, le sentiment se fige, empreinte murée dans la pierre de la nostalgie.
C’est ce qui emporta Dora Maar dans son ermitage vauclusien magistralement rapporté en quelques pages à jamais scellées dans la mémoire de l'histoire de l’art.

 

François Xavier

 

Stéphan Lévy-Kuentz, Sans Picasso, photographies noir & blanc de Jérôme de Staël, postface de Anne de Staël, Editions Manucius, novembre 2017, 88 p. – 15€

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Charlotte Rampling fera une lecture au Centre National du Livre (Hôtel d'Avejan), à Paris, le vendredi 8 décembre, à 19h - réservations obligatoires à rsvp@centrenationaldulivre.fr ; et Stéphan Lévy-Kuentz signera son livre...