"Kamikaze d'été" de Stéphane Giocanti, à l'ombre de Mishima

Kamikaze d’Été
s’organise autour de deux périodes charnières de l’histoire du Japon, deux époques à la fois proches dans le temps mais radicalement éloignées contextuellement. Deux mondes que l’écrivain emblématique Yukio Mishima avait, pour ainsi dire, réuni dans le sang en novembre 1970, lors de son suicide rituel au Ministère des Armées, après un discours tragique et une tentative de coup d’État.
 
« Des myriades d’obus et de rafales retentissaient partout en maculant le ciel de taches ignobles, des désastres d’encre qui cherchaient à tout consumer, à salir, à navrer. Puis tout alla très vite. »

Le roman s’ouvre sur les derniers jours de Masanori jusqu’à son vol fatidique durant l’été 1945. Jours tragiques où l’on suit pas à pas la préparation des soldats kamikazes, mais aussi les doutes, les angoisses et les interrogations spirituelles donnant lieu à des passages d’une grâce remarquable.

C’est aussi l’écrasante solitude de chacun que l’on éprouve à lire ses lignes, cette solitude qui sera d’autant plus écrasante à l’intérieur du cockpit, dans ces avions chargés à bloc et dont le système de largage d’explosif est bloqué, afin qu’avion, bombe et pilote ne fassent qu’un.

Peu d’entre eux auront l’honneur de s’écraser sur la cible après la diagonale acérée ; beaucoup tomberont sous le feu de la DCA américaine ; s’en sortir, même par mégarde, serait de toute façon le comble du déshonneur.

Quelques années plus tard on retrouve Naoki, le fils que Masanori n’a jamais connu ; le Japon a beaucoup changé. Naoki est étudiant et doit faire face à sa mère qui réprouve son homosexualité. Mais c’est surtout par rapport à son père qu’elle le déconsidère ; elle aurait aimé que son fils se construise à l’image de l’homme qu’elle voit comme un héros, mais un abîme d’incompréhension s’est creusé entre les générations. D’un côté ceux qui souhaitaient ardemment passer à autre chose, de l’autre, les survivants, amis, femmes, frères, vivants dans l’amertume ou la honte ; regret d’un Japon où les « Vents Divins » avaient été à la fois l’ultime incarnation de l’idéal Samouraï et son écho dégradé par la propagande.

Partout, l’ombre de Mishima plane, au sein même de l’écriture, mais aussi en tant que personnage du roman ; une rencontre au restaurant, un regard, puis plus tard le drame en direct ; un choc. Naoki, troublé, part alors en quête de ce père mystérieux, comme dans un conte initiatique. Le jeune homme tente de se reconstituer, à l’instar de son histoire écartelée. Entre le renoncement au présent et l’oubli du passé, le fils cherche sa voie, peut-être se situe-t-elle au-delà… En fond, une photo en noir et blanc, des hommes en uniformes, une coupe de saké à la main.

« Appartenir au monde présent lui parut brusquement irréel ; il ne pouvait y revenir que les traits crispés, au prix d’un effort extrême. »

Si le Japon n’a pas eu d’autre choix que de s’aligner sur le modèle occidental, suite à sa défaite écrasante, son essor économique fulgurant aura fortement modifié l’esprit de toute une génération ayant grandi sur la table rase imposée par les américains.

Pourtant Hiroshima et Nagasaki n’étaient qu’à quelques années de là, et les milliers de soldats sacrifiés dans le « Verdun céleste » que furent ces raids kamikazes de 1945 laissèrent, pour le coup, bon nombre d’orphelins et de familles traumatisées.

En un éclair, l’Empereur d’essence divine était devenu homme et du même coup une lignée ancestrale sombrait. Que restait-il de ces héros, morts à vingt ans, lors de ces missions suicide dans le cœur de jeunes gens bercés à la paix, au jazz et à la réussite sociale ?
Un lien trouble, certainement, quelque chose qui devait aller de la nostalgie à l’oubli, en passant par un désir de rupture radical.

Autant de bouleversements que met en lumière l’auteur, Stéphane Giocanti, qui signe un premier roman profond, aux images subtiles, où les mots sonnent justes et où les références sont passionnantes. Ajoutons à cela un sens poétique aiguisé et des questions qui restent résolument d’actualité.

Arnault Destal

Stéphane Giocanti, Kamikaze d'été, Éditions du Rocher, janvier 2008, 198 pages, 14 euros
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