"Je" où ça ? – Stéphane Sangral

Sous titré Soixante-dix variations autour du Je, le livre de Stéphane Sangral développe les enroulements d'un moi dont l'épaisseur n'a d'égal que le distance qui nous en sépare et dont la viande vient mordre l'épaisseur de la matière sémantique.

Celle-ci souligne non seulement sa vanité mais son peu. C'est d'ailleurs sans doute pour cela que les hâbleurs prétentieux ne cessent d'en badigeonner leurs discours. Chacune de leurs phrases  commence par ce Je qui croyant effacer les autres sonne le glas d'un moi qui résonne dans son vide.

Stéphane Sangral propose à l'inverse un corpus incertain et lacunaire. La parole n'est présente que comme vacarme "blanc", en divers types d'échantillons jusqu'à plus rien depuis ses tréfonds d'à peine à peine. Cette parole demeure ce qui émerge, ce qui fait surface, pour un temps encore, jusqu'à ce que cette trace du désespoir laisse place à un vide océanique avant une reprise finale.

Nous somme donc au bord de cet océan, ce vide imprégné d'une sorte de sentiment de douleur anesthésié. Bien sûr il existe des séquences phrastiques. Mais elles sont brisées en un registre grevé de silence. Celui d'un deuil inaccompli dont le cadavre du mot Je tente d'opposer sa densité au glissement du temps.

Mais ce mot cherché sans cesse – dans des suites de tribulations qui souvent aboutissent à un  sans objet – est cerné d'une ombre profonde dans laquelle émergent une clôture, un bornage. Restent les fragments épars, disjoints d'un ressassement sans fin. Il ne peut qu'apporter un doute non seulement au qui je suis mais aussi au si je suis dans une sorte de tarissement progressif.

Ces variations finissent, ou plutôt continuent de finir pudiquement au moment où le Je n'est même plus une seconde nature mais devient son seul vrai vide. Il se retrouve étranger à la langue, il en disparaît dans les multitudes de significations qui à mesure quelles s'inscrivent tombent d'elles-mêmes jusqu'à se biffer dans un mouvement qui tente pourtant d'arracher l'être au néant.
Certes en une béance l'écriture tente encore d'aller vers ce qui ne s'écrit pas encore. Mais où – en dépit de sa quête – Sangral demeure sans graal.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Stéphane Sangral , Infiniment au bord, préface de Denis Ferdinande, Galilée, octobre 2020, 128 p.-, 15 €

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