Stéphanie Janicot, Que tous nous veuille absoudre : infamant !

Il y a trois ans, Albin Michel publiait pour la rentrée littéraire ce livre-là ; et compte-tenu de ce que je viens de lire sur le Salon, je me devais d'apporter un avis contraire à l'encontre de cet auteur...

Comment peut-on se perdre ainsi ?

Avec de tels poncifs Stéphanie Janicot ne fait pas que briser la trame et casser la musique de la narration, elle ridiculise ses personnages et son histoire tout en participant à un jeu bien dangereux : celui de véhiculer des idées toutes faites.

Pourtant son livre est pas mal écrit, on se laisse porter par ce huis-clos qui se joue place de la Contrescarpe, à Paris, mais un malaise s'installe assez vite tant le message subliminal est caricatural. Questionnée par mail elle a semblé ne pas comprendre nos réticences (sic). On pourrait en rire si cela ne venait pas contredire totalement le projet du livre qui en devient pervers, ridicule, absurde.

La dépression, l'égocentrisme et le renoncement conduisant au suicide sont incarnés par des personnages athées, quand le courage, la force et la connaissance le sont par des juifs. Stéphanie Janicot croit-elle encore qu'ils sont le peuple élu ? Mais par qui ? Dieu ? Faudrait-il encore qu'Il existe...

Forcer le trait à ce point en deviendrait amusant si l'on ne savait pas que ce type de littérature a deux corollaires : les sots qui vont y croire, les cinglés qui vont s'en offusquer.

 

Passons. Tout cela n'est que bagatelle, me diriez-vous, peut-être, mais pour éviter le massacre des innocents l'on se serait attendu à autre chose. En étudiant le parcours de Stéphanie Janicot affiché sur sa page Facebook, on apprend que cette journaliste est passée maître dans l'art de nous faire prendre des vessies pour des lanternes puisqu'elle a étudié à Sciences Po, cette noble institution qui, avec l'ENA, détruit le bon sens en chacun de ses élèves pour mieux les mouler dans l'habit du parfait cynique.

Ainsi, d'une plume alerte, nous assène-t-elle ses messages subliminaux. Une phrase, puis une autre, une scène, un souvenir, construisent une pensée, portent une idéologie de l'exclusion, un thème politique absurde sous couvert d'humanisme alors que ce roman-là est bien un roman occidental dans la pire interprétation que l'on peut en faire. Le lecteur est emprisonné dans un concept qui participe à scléroser sa raison, à imposer la main mise de la pensée unique.

 

Ainsi, place de la Contrescarpe, une jeune veuve, grand reporter mutilée par l'attentat qui a tué son époux dans un pays d'Orient, passe ses journées à regarder la foule sous ses fenêtres et à attendre la visite de la première femme de son mari et de ses deux enfants. Surgit un jeune garçon qui s'amuse à psalmodier des extraits de l'Apocalypse, que personne ne reconnaît dans un premier temps, pensant que ces phrases jaillissent seules de sa gorge. La bêtise humaine lui attribue d'emblée le titre de prophète.

 

Le personnage principal, Saar, a passé ses dix premières années dans un kibboutz, ses parents (mère française, père états-unien) pensaient que c'était tendance dans les années 1970 de tout quitter pour aller coloniser la Palestine, mais dès que la violence s'est faite trop présente, chacun est rentré dans son pays d'origine.

Puis une phrase précise que des victimes d'un attentat à Tel-Aviv ne le furent que parce qu'elles étaient nées juives. On enchaîne vite sur autre chose, histoire de laisser la mauvaise idée faire son chemin. La résistance palestinienne est une lutte d'autodétermination et les déclarations anti-juives du Hamas ne doivent pas enfermer les palestiniens dans leur ensemble comme de dangereux fanatiques anti-juifs. L'OLP compte dans ses membres des chrétiens... et des juifs. Mais Stéphanie Janicot ne le sait peut-être pas... Toujours est-il, qu'avec cette seule phrase elle participe à la propagande pro-israélienne, à soutenir en l'état le gouvernement actuel qui prône l'ethnie comme modèle, ce que toute personne de bonne volonté (comme de nombreux intellectuels juifs et/ou israéliens l'ont clairement dit) ne peut se concevoir : nous devons tendre vers un monde métissé et non vers l'épuration ethnique : Israël, l'état nation du peuple juif, quelle sottise !

 

Un deuxième personnage central apparaît dans la deuxième partie du livre, la sculptrice Stern qui est allée faire son service militaire en Israël, comme d'autres iraient faire le GO au Club Med, après l'échec de ses études et le conflit familial devenu intolérable. Comment doit-on le comprendre ? Comme l'apologie de cette belle idée qu'est Israël ? Stern qui n'hésita pas à participer à l'invasion israélienne au Liban en 1982, au point où elle en était...

À ce stade du récit on aurait aimé une petite parenthèse qui aurait appuyé la position de Michel Warschawski (l'un des tout premiers à refuser de franchir la frontière libanaise et donc à désobéir à son état-major : lisez Sur la frontière, son livre paru chez Stock, prix RFI-Témoins du monde, désormais en poche chez Pluriel). Stéphanie Janicot aurait ainsi donné au lecteur une autre vision, celle de la vérité, de la juste place des hommes de bonne volonté, juifs de surcroît, qui ne défendent pas aveuglément la politique coloniale d'Israël... Mais elle ne nous parle QUE d'Israël et jamais n'évoque, ni ne nomme l'Autre, cet Arabe infamant, ce sauvage qui ose tuer des juifs pour tenter de libérer sa terre du joug colonial. Oui, comment peut-on écrire des paragraphes sur Israël sans évoquer l'arabe palestinien ? Tout simplement en le niant, en le rendant invisible, absent, oublié à dessein...

 

Avec un tant soit peu d'intelligence narrative et de bonne volonté, Stéphanie Janicot aurait pu écrire un chef-d'œuvre humaniste. Pour cela, il aurait suffi d'ouvrir un peu son cœur et sa conscience pour que le thème universel s'affiche.

Solel, le défunt mari, aurait pu ne pas couvrir que l'ex-URSS mais être grand-reporter pour aborder l'Afrique et ainsi évoquer le génocide rwandais (le mot génocide n'est pas la propriété exclusive des juifs, n'en déplaise à Elie Weisel) et la fin de l'apartheid en Afrique du Sud, tissant un parallèle entre ce qui s'est passé et ce qui se passe aujourd'hui en Palestine, mais pour cela il aurait fallu oser briser un tabou. Saar aurait pu être une palestinienne rescapée de Sabra et Chatila ; un clin d'œil à la mixité et à l'amour fou que connut jadis le poète Mahmoud Darwich avec une israélienne, la fameuse Rita de ses poèmes, aurait mis en lumière ce qui existe déjà : personne ne parle jamais des mariages mixtes en Palestine/Israël, mais ils existent !

 

Pourquoi le faux prophète ne relate-t-il que des extraits de l'Ancien testament et uniquement ? Pour souligner l'impérieuse prédominance juive comme seule ayant droit de référence dans l'histoire des hommes ? Mais il n'y a aucun droit divin, il n'y a que le droit des hommes ! N'aurait-il pas été plus judicieux, intelligent, talentueux de proposer des citations extraites d'un patchwork qui aurait mêlé des extraits du Livre des morts (égyptiens et tibétains, par exemple), du Coran, de la Bible et du Talmud, afin de tendre vers l'universel plutôt que de s'enfermer dans un seul courant de pensée ?

J'ai donc lu un livre qui m'est apparu comme un jeu bien pervers qui rappelle la phrase de Golda Meir, "il ne faut pas trop d'antisémitisme car cela conduit au génocide, mais il ne faut pas qu'il n'y ait plus d'antisémitisme car la raison d'être d'Israël disparaitrait ; alors, il faut un antisémitisme modéré."

Doit-on en déduire que ce livre participe à cette supercherie ? Certainement, et cela fait froid dans le dos, toute cette mauvaise foi qui détruit un roman qui aurait dû être magnifique. C'est pour cela qu'on le jettera dans un cul de basse fosse, lieu qu'il n'aurait jamais dû quitter.


NB - Chez amazon.fr, trois semaines à peine après la parution du livre, il y avait déjà près de 45 exemplaires proposés à partir de 2.80 euros l'unité, dont certains sont neufs ; c'est dire l'engouement de certains lecteurs à vouloir conserver pareille œuvre dans leur bibliothèque... C'est assez rarissime, preuve que le lecteur n'est pas si sot que d'aucuns voudraient bien nous le faire croire...


François Xavier

 

Stéphanie Janicot, Que tous nous veuille absoudre, Albin Michel, août 2010, 272 p.- 19,00 €

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