" Pour l'aventure, je suis prête à devenir aventurière"

Dans le grand Paris de perdition des Années folles, une jeune journaliste en verve de vingt-cinq ans, Maryse Choisy (1903-1979), explore avec succès un nouveau genre éditorial sur un mode jubilatoire : le reportage en immersion dans le demi-monde
.

 

Maryse est née « enfant illégitime » de parents inconnus mais illustres – elle descendrait des empereurs de Byzance - le 1er février 1903 à Saint-Jean-de-Luz et grandit dans le château de sa tante, la comtesse Anna de Brémont (1856-1922), entourée de gouvernantes et de précepteurs.


Des visiteurs illustres (Maurice Barrès, Gabriele d’Annunzio, Paul Cambon, Jean Jaurès, etc) se pressent aux réceptions de la comtesse. La jeune fille dorée sur tranche voyage dans l’Europe galante de la Société des nations et étudie à partir de 1919 la philosophie à Cambridge – elle a Bertrand Russell (1872-1970) comme professeur de métaphysique et de mathématiques. C’est là qu’elle fait la connaissance du maradjah Koumar, qui passe pour « l’homme le plus riche du monde ». Le précoce brin de femme s’enflamme et prévoit d’épouser son Orient à elle, mais, la veille du mariage, l’élu de son cœur se crashe en belle automobile.

 

Couchée par écrit : « la femme est une esclave qui n’a pas de maître »…

 

Sur un coup de tête, Maryse prend l’Orient Express en 1922 pour rencontrer Freud en son cabinet de Vienne – et s’en retourne s’allonger à Paris sur le divan de Charles Odier (1886-1954).


En 1924, elle publie son premier « quasi roman », Presque (aux éditeurs associés), fonde un nouveau « mouvement littéraire », le « suridéalisme », et enseigne la psychologie expérimentale à Bénarès - elle y attrape le virus de la chiromancie et publie La Chirologie (Alcan, 1927).


De retour à Paris, elle soutient sa thèse sur Les systèmes de philosophie vedanta et samkya (1926) et publie dans L’intransigeant (du 22 octobre 1927) Mes vendanges au Languedoc. Son second roman, Mon cœur dans une formule, se retrouve sur la sélection pour le prix Fémina 1927 – mais en est étrangement retiré.


Sur la lancée de son premier reportage, elle publie Un mois mannequin, Un mois dompteuse dans une ménagerie foraine – et, dans le sillage d’Albert Londres (1884-1932) s’infiltrant dans les milieux proxénètes argentins, se fait engager comme femme de chambre dans un « claque » pour « raconter la prostitution de l’intérieur »… Tour à tour danseuse dans un bar lesbien ou « sous-maîtresse »  chez Ginette, la jeune épouse du sieur Horace Choisy infiltre et décrit tous les lieux parisiens et provinciaux de la galanterie : bureaux de placement, dancings, quais des « pierreuses » - et le plus illustre des claques parisiens, Le Chabanais – le « palais des convoitises du monde » : « Au cœur de Paris, les deux ventricules de Paris : la Bibliothèque nationale et le Chabanais. Il y a les professionnels et le génie. Il y a les maisons de tolérance et le Chabanais »…

Dédié à son amie Youki Foujita (1903-1966), « la plus belle femme de France et de Navarre, en humilité évangélique », son reportage « vécu de l’intérieur » paraît le 19 juin 1928 aux éditions Montaigne (collection du Gai Savoir) et s’arrache comme friandises épicées : les 300 000 exemplaires sont dépassés en 1939 lorsque Maryse Choisy, convertie au catholicisme après sa rencontre avec Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), décide de le retirer du circuit – elle parle de 450 000 exemplaires vendus.


Pour ce reportage dans « toutes les maisons de rendez-vous secrètes, cotées, relevées, recommandées, nobles » que « même les guides ignorent », elle se « sacrifie » joyeusement pour des évidences fort partagées dont celle-ci : « Pour la société, la prostitution est une perte sèche. Une femme peut faire deux mille quatre cents heures de travail et un enfant par an. Chaque prostituée, c’est deux mille quatre cent heures de travail et un enfant en moins. ».


L’année suivante, Maryse se fait couper les seins, dit-elle, par « la plus grande chirurgienne de Paris » pour s’introduire, sous l’habit monastique, chez les moines du Mont Athos - et publie Un mois chez les hommes (1929).

Le 28 avril 1932, sa fille Colette vient au monde à Neuilly-sur-Seine - ainsi prénommée en hommage à la femme de lettres Colette (1873-1954) qui est sa marraine. Cette année, elle publie Le Veau d’or (Gallimard, collection « Les livres du jour »), un « reportage-roman » sur la Phynance – pour pénétrer au Palais Brognart interdit aux femmes, elle s’était déguisée une fois encore…


Maryse Choisy tire sa révérence le 21 mars 1979, laissant derrière elle une œuvre immense, fruit de vies multiples menées de front, dont des souvenirs (Sur le chemin de Dieu on rencontre d’abord le diable, Emile-Paul, 1977) et des entretiens avec le Dalaï-Lama.


Les éditions Stock rééditent Un mois chez les filles. Las, la couverture ne montre pas des filles dans un « claque » mais des mannequins de la très honorable maison de couture Jean Patou - rien qu’un clin d’œil qui clôt à peine une vie d’ébranlements majeurs adoucis en caresse de dire… De celle qu’il est bon de redécouvrir à volume ouvert comme des yeux sur la vitre d’une époque où se croisent et se décroisent le fugace, l’intranquille et l’éternel...


Michel Loetscher


Maryse Choisy, Un mois chez les filles, Stock, mai 2015, 200 p., 17 €


(Première version parue dans les Affiches-Moniteur)

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