La cache de Christophe Boltanski : Grand Corps malade

Ils ne fêtent aucun anniversaire, bannissent la moindre photo, se déplacent même au bout de la rue tous ensemble, voyagent collés dans une Fiat 500 et ne scolarisent pas leurs enfants. Eux, ce sont les Boltanski, une famille qui vit repliée dans un hôtel particulier du 7e arrondissement de Paris. Il y a Étienne, le grand-père, médecin avisé, mais allergique au sang. Une grand-mère que l’on appelle Mère-Grand, comme dans les contes, atteinte de polio et refusant la moindre aide.

 

Châtelaine en Mayenne, cette grande bourgeoise organise chez elle les réunions… du Parti communiste. Sans oublier les générations suivantes, Christian, Christophe, Ariane et Luc, tous dévoués à leurs ainés pour ne jamais questionner ce fonctionnement pour le moins particulier.

 

On l’aura compris, il ne s’agit pas d’une famille classique. Ce qui les rassemble ? Un sentiment de peur diffuse, de l’étranger, de soi, des autres. Quand la guerre a éclaté, Étienne, converti du judaïsme au catholicisme a choisi de se cacher dans cette maison, dans une cachette de 1,20 mètre de hauteur et d’un mètre de large. 20 mois passés à l’isolement, à s’effrayer du moindre coup de sonnette. Mais cette situation, partagée par beaucoup, n’a curieusement pas fini à la Libération. La cache est en effet restée au cœur de la maison et de la psyché de cette famille.

 

Grand reporter au Nouvel Obs, Christophe Boltanski signe avec ce texte que l’on ne qualifiera pas de roman, un grand livre sur une famille malade. Malade des non dits, de l’Histoire, de l’absence de racines. Une famille qui se croit obligée de resserrer les rangs face à un monde jugé hostile et qui plonge toute entière dans la clandestinité, alors même que tout danger est écarté.

 

D’une écriture minutieuse et d’une modestie rarement égalée, l’auteur nous fait pénétrer à l’intérieur de la maison, ce grand corps malade dont il va jusqu’à dessiner pour nous les différentes pièces. On se trouve donc à l’intérieur d’un organisme vivant, dans le ventre de la baleine.

 

Mais, et c’est là tout le paradoxe, ce phalanstère familial produit aussi des rires, de l’émotion, des pique-niques nocturnes et surtout une créativité incomparable chez ses membres. Christian Boltanski, devenu l’un de nos plus grands artistes, en est la preuve, Christophe l’écrivain une autre. On peut donc se poser la question : l’entre soi pathologique favorise-t-il l’excellence ? Autant de pistes de réflexion passionnantes pour un livre qui restitue l’intimité d’un clan soudé dans un huis clos claustrophobique dont chacun des membres a essayé, avec ce livre inclus, de s’échapper à sa manière.

 

Ariane Bois

 

Christophe Boltanski, La Cache, Stock, août 2015, 335 pages, 20 €

 

> Christophe Boltanski a obtenu le Prix Femina 2015

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