Vaincre à Rome, ou la revanche éthiopienne

Comment moucher la suffisance italienne ? Et plus spécifiquement rabattre le caquet des Occidentaux ? Ces Blancs des années 1960 encore convaincus de leur supériorité ? En gagnant le marathon des Jeux olympiques de Rome !
Les Italiens, vingt-quatre ans après la prise d’Addis-Abeba par Mussolini, regardaient encore de haut ce petit homme aux pieds nus… Car Abede Bikila décida au dernier moment d’enlever ses chaussures. Pour éviter les ampoules. Et puis il a toujours couru nus pieds, depuis l’enfance. Ces vingt kilomètres journaliers pour aller à l’école. Son corps tout entier doit demeurer en contact direct avec la terre, la piste, la route…
Une légende du sport va naître en ce 10 septembre 1960.
Exit les champions de la discipline. Exsangues, la moitié des favoris vont abandonner, ne parvenant plus à soutenir le rythme infernal imposé par Bikila. Qui s’offrira le luxe de terminer les derniers cent mètres en… onze secondes ! Pulvérisant le record du monde de la spécialité. Même Léopold Sédar Senghor lui a écrit un poème en suivant en direct la course à la radio.
C’est tout le continent africain qui signe ainsi sa revanche.

Séquencé selon les dix principales étapes de la course, cet étrange roman nous place dans l’esprit du coureur. Une prouesse à la hauteur de l’exploit sportif. Baignée de réflexions personnelles, de mérite patriotique, de volonté extraordinaire, d’un humour philosophique et de citations pertinentes, l’âme d’Abebe Bikila s’ouvre à nous. Par la complicité de la plume de Sylvain Coher, on fait corps avec l’Ethiopien volant. On suit ses premiers kilomètres, caché dans la masse des coureurs. On devine son angoisse à chercher partout son principal concurrent – qui a triché en conservant le dossard de la course précédente. On patiente avec lui pour le coup de grâce. On découvre toute la préparation physique et mentale avec son entraîneur finlandais. On savoure sa victoire et son retour au pays salué par le négus.

Captivant roman qui se lit d’un coup. Telle cette course folle terminée à la nuit, sous les lampes torches des policiers qui éclairent les dernières portions de route. Coup de tonnerre dans la ville éternelle pour rappeler la force de l’esprit sur tout autre chose.

Annabelle Hautecontre

Sylvain Coher, Vaincre à Rome, Actes Sud, août 2019, 336 p.-, 18,500 €

1 commentaire

Je ne sais plus où dans son œuvre, mais Giono célèbre et porte aux nues cet athlète très nature qui ne pouvait que lui plaire et que de ses propres yeux depuis les tribunes il avait vu gagner.

André Lombard.