L'offensive du Têt, de l'importance de l'évènement

La collection « L’histoire en batailles » permet de redécouvrir certains évènements militaires qui, au-delà des explications tactiques qui font le bonheur de nombre de wargamers, permet de réhabiliter la notion d’« événement », utile complément de la conception du « temps long » en Histoire. L’offensive du Têt de 1968 constitue ici l’occasion de le vérifier amplement.

 

Histoire d’un tournant

 

L’ouvrage synthétique que publie Stéphane Mantoux est l’occasion de revenir ici sur un événement  l’offensive du Têt, tournant de la guerre du Vietnam (1964-1975). Militairement, cette offensive imaginée par Giap, que les Américains repoussèrent victorieusement, marqua cependant l’échec de la stratégie du search and destroy du général Westmoreland. On peut tenir ce dernier comme un des principaux responsables de l’enlisement américain dans le sud-est asiatique. Prisonnier de ce que Victor Davis Hansen a décrit dans Le modèle occidental de la guerre, Westmoreland a cherché à pousser le Vietcong et le Nord-Vietnam à de grands affrontements, convaincu que de lourdes pertes pousseraient l’ennemi à la capitulation. Obsédé par le bodycount, l’américain comptait les morts rebelles, persuadé de tenir là une des clefs de la victoire. Il ignorait que les rebelles avaient pour eux l’avantage de se battre au nom de l’indépendance de leur pays – les américains étant vus comme des occupants – et de l’idéal communiste. Les soldats américains, n’effectuant qu’un an – le fameux tour of duty – ne pensaient qu’à survivre à leur service, différence de motivation qui explique aussi l’échec américain.

 

Le succès médiatique et politique du Viêtcong

 

Le Têt fut aussi un tournant médiatique et politique. Depuis le début, les télévisions américaines couvraient abondamment le conflit, mais ce ne fut rien en comparaison des images qui commencèrent dès lors à déferler dans les médias américains. Les reportages montrant l’assaut sur l’ambassade américaine, l’assassinat d’un Viêtcong par le chef de la police de Saigon marquèrent les esprits. Et finirent par achever de convaincre la population américaine que l’armée de pouvait gagner, qu’il ne pouvait y avoir de solution que politique.


Le politique donc. L’offensive surprit et désorienta le président Lyndon Johnson, principal responsable de l’engagement américain au Vietnam. Lorsqu’il vit le journaliste Walter Cronkite déclarer que l’armée ne pouvait gagner, il comprit qu’il avait perdu. 1968 fut l’année des primaires, Johnson renonça à se présenter, après avoir annoncé l’arrêt des bombardements et l’ouverture de négociations. Militairement battu, le Viêtcong venait en fait de remporter un très grand succès. Le jugement de la postérité fut injuste pour Lyndon Johnson qui fit voter les lois sur les droits civiques, le Medicare et le Medicaid et qui mena une véritable guerre contre la pauvreté (Jacques Portes lui a consacré une excellente biographie parue chez Payot en 2007) : un bilan qui devrait faire pâlir d’envie un Barack Obama aujourd’hui… et le retrait de Johnson ouvrit la voie à Richard Nixon (Antoine Coppolani vient de sortir une biographie dont on reparlera) et, surtout après lui, à une vague de conservatisme qui causa bien des dégâts à la société américaine.

 

Illusions perdues…

 

Maintenant, souvenons-nous que la guerre du Vietnam a été l’objet d’une véritable hystérie collective dans les années 60, et pas seulement aux Etats-Unis. Au cinéma, le pape de la nouvelle vague, Jean-Luc Godard, abîma son talent en enchaînant les films pro-vietcong, gauchistes et maoïstes, obscurs navets autour desquels aujourd’hui s’agitent encore ses sectateurs (on peut préférer les splendeurs de Pierrot le fou, Vivre sa vie et A bout de souffle). Dans les universités européennes et en particulier françaises, les étudiants de gauche, trotskistes et maoïstes en tête, formèrent des « comités Vietnam » pour soutenir la rébellion Viêtcong contre l’impérialisme américain. Il est vrai que les Etats-Unis misaient sur un gouvernement corrompu qui se maintenait au pouvoir grâce à une série de coups d’Etat, sans un soutien populaire suffisant. Aux Etats-Unis, le mouvement anti-guerre prit une ampleur considérable, débordant même dans le domaine de la musique rock et soul. Les Byrds, le Buffalo Springfield, Crosby Stills Nash & Young, tous ces groupes californiens militèrent tous pour un arrêt des hostilités. Le mouvement se conjugua par ailleurs avec celui des droits civiques : Martin Luther King Jr se prononça contre cette guerre avant son assassinat en 1968 et Mohamed Ali refusa son incorporation. Le Vietnam permit aux générations nées dans l’après-guerre de s’initier  à la politique en contestant leurs aînés.

 

Force est cependant de reconnaître que la victoire des communistes en 1975 a conduit à un appauvrissement du pays qui n’y gagna pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le pluralisme politique. Quant aux anciens contestataires, ils oublièrent bien vite leurs idéaux d’antan et tournèrent casaque et devinrent les zélateurs du capitalisme le plus débridé (comme par exemple Jerry Rubin aux Etats-Unis ; en France, Serge July constitue aussi un bon exemple de cette dérive ou comment passer de Mao à la fondation Saint-Simon…), jusqu’à la crise de 2008. Sic transit gloria mundi…

 

D’un  évènement militaire à la portée limitée - le sort du monde ne s’est pas joué à Saigon -, on touche à la quintessence des fameuses sixties, dont notre époque individualiste et libérale est issue. Très bonne synthèse, à destination des amateurs d’histoire et des étudiants.

 

Sylvain Bonnet


Stéphane Mantoux, L’offensive du Têt, Taillandier, Août 2013, 223 pages, 19,90€

 

3 commentaires

Un tournant, en effet, et une victoire militaire qui est une défaite politique, comme cela arrive souvent avec les grands empires.
  J'ajouterai juste un élément supplémentaire  : les USA ne pouvaient pas gagner parce que la Chine était derrière, comme en Corée, et qu'elle se serait battue jusqu'au dernier vietnamien sans aucun scrupule, avant d'en venir à une confrontation plus...atomique ?
Quant aux "idiots utiles" de l'époque, petits bourgeois anti américains et adeptes de Mao qui se la jouaient "che guevara au quartier latin", ils sont tous en effet recyclés dans  de bonnes places, en particulier dans les medias et la politique, où ils donnent des leçons de démocratie à tout le monde sans que personne ne leur demande jamais d'où ils parlent . Ce qui leur permet, eux les pourfendeurs du capitalisme et de l'impérialisme américain, de se balader en  Nike et  Apple sans y voir la moindre contradiction.
Tous ces quinquas sont en fait les parents putatifs (j'aime bien ce mot) de l'ami Cantat, qui conchie la société de consommation, le show bizness et l'industrie du disque, mais vit très confortablement de son contrat avec une Major rapace et spéculative. Quand on n'a pas de conscience, c'est plus facile de s'arranger avec.

Relier Bertrand Cantat à l'offensive du Têt en moins de 20 lignes, chapeau bas, M. Proutch ! ;-)

pas mal, hein? j'suis assez content de moi...  ;^)