"Franklin Roosevelt", le père fondateur

 Après la biographie  "classique" sortie par André Kaspi chez Fayard dans les années 80, voici celle d’Yves-Marie Péréon. Sujet ardu que FDR, canonisé comme chef de guerre pour certains, idole totémique de la gauche intellectuelle en mal de références, grâce au New Deal. Le souvenir de son action est d’une actualité brûlante depuis que la crise financière de 2008 a remis en cause le système capitaliste financiarisé et dérégulé mis en place par les ultralibéraux sous la férule de Ronald Reagan (supporter du New deal dans sa jeunesse !).

 

Roosevelt l’anti conformiste

 

Tout au long de ces 576 pages, l’auteur restitue bien ce que fut Roosevelt : d’abord un héritier d’une grande famille de la côte Est (les Roosevelt sont d’origine néerlandaise et font partie du patriciat new-yorkais depuis le 18ème siècle) et ensuite un anti conformiste. Sans être un intellectuel ou un étudiant brillant (ses professeurs le trouvaient plutôt paresseux), Franklin Roosevelt a cependant la faculté de changer facilement de paradigme et de dépasser ce qui paraît acquis et sûr. En matière d’économie, si son parcours fut erratique, il a cependant rompu avec l’orthodoxie de son temps et a voulu tout essayer. Rappelons que c’est ce patricien, pur produit de l’élite, qui instaura la social security aux Etats-Unis en 1935, c'est-à-dire des retraites pour tous les Américains. En cela il a suivi l’exemple de son cousin Theodore, président de 1901 à 1909, qui, au nom du progressisme, n’hésita pas à rompre avec la doctrine du parti républicain et à soutenir des causes (ouvrière par exemple, ou en faisant ouvrir nombre de parcs nationaux) éloignées a priori de lui.

 

Débats autours du Héros

 

Cependant Yves-Marie Péréon n’hésite pas à aborder des sujets peu propices à l’hagiographie comme ses relations avec l’URSS, par exemple. Roosevelt a été accusé après-guerre d’avoir mésestimé le danger soviétique et abandonné, lors du sommet de Yalta, la moitié de l’Europe, au grand désespoir de Churchill revenu de ses illusions (s’il en avait vraiment eu) sur Staline. Roosevelt, il est vrai, a (trop ?) longtemps estimé que l’alliance soviétique primait sur le reste pour battre l’Allemagne nazie – et le Japon - on doit reconnaître d’ailleurs qu’il a très rapidement choisi de donner la priorité à l’engagement contre Hitler par rapport aux Japonais. A Yalta il insiste encore longuement auprès du tsar rouge pour qu’il déclare la guerre et engage ses troupes contre les Japonais. Roosevelt est en fait l’homme d’une guerre et d’un combat, contre le nazisme. Pour autant, l’auteur note s

a désillusion  progressive durant les derniers mois devant la mainmise des Soviétiques en Europe de l’est. Aurait-il pu devenir le président de la guerre froide ? Sa mort l’en a de toute façon empêché.

 

Au sujet de l’extermination des juifs européens, on  l’a accusé de n’avoir rien fait. Roosevelt peut être exempté de toute accusation d’antisémitisme à titre personnel. Le gouvernement polonais en exil (on pense au témoignage de Jan Karski) l’a par contre informé du crime en cours, même si l’ampleur de l’extermination ne pouvait encore être connue avec précision. Roosevelt a créé le War refugee board pour venir en aide aux victimes du nazisme. La question du bombardement des camps de la mort a été évoquée avec les chefs militaires, mais écartée au motif que les opérations militaires primaient. Roosevelt pensait que la meilleure façon de venir en aide aux victimes était de gagner le plus rapidement la guerre. Reste qu’il est en partie responsable de ce choix.

 

Un exemple à suivre ?

 

Roosevelt, donc, fascine toujours. A bien des égards, il est certainement le président américain le plus important du 20ème siècle, tant pour son œuvre intérieure (New deal) que pour son rôle de chef de guerre (et la durée unique de son maintien au pouvoir, 4 mandats ! ce qui a nécessité par la suite à un amendement à la constitution, pour ne plus que cela se reproduise). Pour la gauche occidentale, mal remise de la chute du mur et de l’effondrement intellectuel du marxisme, il est devenu une référence, un père fondateur. A raison, même si on est jamais si bien trahi que par ses enfants !

 

Comme on l’a déjà vu, il est un exemple à suivre de par son pragmatisme, sa capacité à sortir du cadre mental et culturel dont il était issu afin d’attirer près de lui des gens susceptibles de lui présenter des solutions hétérodoxes. De la NIRA à la social security, du new deal au choix de développer la bombe à Los Alamos, les exemples abondent. Roosevelt était aussi un volontariste, un leader capable de prendre des décisions et de trancher (même s’il prenait son temps comme le rapportent dans leurs mémoires ses anciens collaborateurs) et aussi un fin négociateur, qualité utile lorsqu’il s’agissait de négocier avec un congrès hostile - et dont semble totalement dépourvu l’actuel résident de la maison blanche. A l’heure où nombre de gouvernants d’aujourd’hui se réfugient dans la pusillanimité, voire l’immobilisme, ou se révèlent incapables d’imaginer sortir d’un cadre de pensée devenu obsolète –pensons aux élites européennes actuelles et à leur comportement lors de la crise de l’euro -, Franklin Delano Roosevelt reste un exemplum, un professeur d’énergie vers lequel on vient chercher des leçons. S’il s’agissait d’un roi, Roosevelt pourrait être qualifié de « Grand ».

 

Sylvain Bonnet

 

Yves-Marie Péréon, Franklin D. Roosevelt, Taillandier, octobre 2012, 576 pages, 27€

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