Pathé, à la conquête du cinéma, 1896-1929

PATHE : la leçon vaut bien un fromage


De plus en plus, auteurs et historiens s’intéressent aux origines du cinéma et même à ses premiers frémissements. Il était temps. Oublié, délaissé, mal considéré, le cinéma muet servi de fondement à l’industrie des images animés. Avec ses audaces et ses erreurs. Quelques films, quelques noms ont survécu à l’oubli et, pourtant, dans une mesure non négligeable c’est grâce à ces pionniers qu’aujourd’hui on peut aller voir Gravity sur un écran Imax ou télécharger un long-métrage en couleurs d’un simple clic.


Parmi ces pionniers, il y eut Charles Pathé. Qui, avec son frère, donna son nom à une firme qui perdure encore aujourd’hui (et que je salue au passage). Et dont le rayonnement fut et reste, important dans le monde du 7ème art.


Or, donc, un ouvrage retrace par le menu « la conquête du cinéma » par Charles et son entreprise au coq chantant (par opposition à l’aigle américain qui commença, très tôt, à étendre son pouvoir en rognant celui des autres).


Attention ! Ce livre raconte l’histoire de la firme par son prisme économique. Et uniquement. Les films, les réalisateurs, les acteurs, les scénaristes n’y sont cités qu’à titre marginal. Les employés, directeurs, chefs de fabrication sont mieux lotis. Il n’est pas question de dresser la liste des films qui ont vu le jour chez Pathé entre la naissance de l’entreprise et la venue du parlant (qui correspond au moment où Pathé changea de mains pour passer entre celles de Bernard Natan – mais cela est une autre histoire, ô combien passionnante !).


Par contre il est fortement question de tout raconter dans le détail. Tout, c’est-à-dire les chiffres, les placements, les finances, les revenus, les rentrées… tout ce que l’on retrouve dans les grands livres comptables. Et, par voie de conséquence, dans les réunions des conseils d’administration. Car l’auteur, Stéphanie Salmon est directrice des collections historiques de la Fondation Jérôme Seydoux (actuel patron de chez Pathé). Elle a donc eu accès à toutes les archives, à tous les comptes-rendus et même à de nombreux courriers. Elle a remis ces tonnes de paperasses en ordre pour faire revivre mois après moi, réunion après réunion, le parcours d’une société qui commença par vendre des phonographes (le cinématographe eut du mal à s’imposer) avant d’ouvrir des succursales dans le monde entier. Car Pathé fut un empire. Il faut le savoir. Et Charles, à sa manière, un empereur. Qui régna sur cet univers en formation alors qu’il n’en était même pas le président du conseil d’administration. Sans Charles, point de salut. Parce que point d’idées, point d’audace.


Le livre, qui ne cache pas les querelles d’influence, montre bien la suprématie et la clairvoyance du monsieur. Dommage qu’il ne soit pas plus précis sur le plan artistique. Car, c’est dit sans être dit tout en étant dit, Charles soutint de nombreux projets dont au moins tout à fait hors norme : Les Trois Mousquetaires d’Henri Diamant-Berger. Une production colossale (budget faramineux de 2,5 millions de francs pour filmer douze épisodes d’une heure) qui rapporta des millions par dizaines et renfloua la firme, pour un temps au moins. Ce triomphe fut suivi d’un autre, Vingt ans après. Mais non du Vicomte de Bragelone, pourtant – fort logiquement - prévu, mais que Pathé Consortium bloqua, en dépit de l’enthousiasme de Charles.


Soyons clair : cet ouvrage épais, documenté jusqu’au moindre bouton de guêtre, est plus à ranger dans le rayonnage « industrie » ou « économie du cinéma » que dans celui réservé aux cinéphiles et aux amateurs de cinoche. Il n’en est pas moins indispensable. Et peut se lire sans posséder un Prix Nobel d’économie (quoiqu’avec, c’est un mieux – mais c’est plus rare !).


Reste maintenant à prolonger le travail de titan entomologiste et à narrer la période 1929-2014 ! Bon courage.


Philippe Durant


Stéphanie Salmon, Pathé, à la conquête du cinéma, 1896-1929Tallandier, janvier 2014, 635 pages, 29,90 €

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