Zombis, Enquête sur les morts-vivants

Loin du zombie moderne qu'il méconnaît totalement pour s'en désintéresser (sa courte préface suffit à le comprendre), le médecin légiste et anthropologue Philippe Charlier s'est intéressé au zombie comme corps social (1), partie prenante du quotidien d'un groupe d'homme au sein duquel les morts-vivants ne sont pas moins des acteurs actifs. Et c'est tout naturellement que son enquête, Zombis, Enquête sur les morts-vivants, le conduit en Haïti. 

Il y a trois sortes de zombies en Haïti : le zombie  toxicologique (drogué par la tétrodotoxine notamment pour avoir l'apparence d'un zombie et servir comme esclave), le zombie social (zombie sans maître ni aucune place dans la société dont il a été exclu par sa "mort"), le zombie psychiatrique (dément qui a la certitude d'avoir eu contact avec le Dieu des morts Baron-Samedi ou sa femme Dame-Brigitte et qui se croit mort).

Indissociable du vaudou et de la société haïtienne tout entière, le zombie n'est pas un mort-vivant à proprement parler, mais une personne déclarée morte par exemple par un témoin non médecin aussi bien qu'un cobaye infecté par un poison qui donne l'apparence de la mort, qui aura eu un enterrement sommaire ou sera simplement abandonné dans ces cimetières qu'il vaut mieux ne pas fréquenter de nuit. Mais la société fait siens ces hommes et ces femmes qui sont "enterrés", puis reviennent, et à qui il faut redonner les éléments du corps : soit leur place dans la société et la famille est donnée à un autre, soit ils sont affectés à une autre "vie" avec nouvelle identité, nouveaux droits (les zombies votent, vivent, travaillent...). 

Où le zombie haïtien rejoint celui de Romero, c'est dans les cas d'instrumentalisation : une personne morte au corps social, qui va être empoisonné, drogué, réduit à un esclavage domestique et maintenant dans une léthargie calme et servile par médicaments ou drogues : cet être sous-humain a l'apparence hagarde d'un mort-vivant. Faire un zombie, pour un haïtien, c'est pire que la mort, car on renaît comme sous-homme, esclave.

Ce sont des morts-vivants sociaux... Car ces morts-vivants sont avant tout des morts-sociaux, aux confins du vaudou, de l'anthropologie, de la médecine, personnes qui pourraient être les cousins lointain des sdf de nos sociétés modernes. 

L'enquête, quoi que d'une tonalité un peu journalistique à la mode Libération (l'auteur se mettant en scène), est passionnante et donne à réfléchir sur la notion de corps social. La mort en Haïti est quelque chose de concret, d'ancré dans les traditions et les moeurs si bien qu'elle n'est jamais loin et qu'elle donne sens, plus que dans nos sociétés qui ont relégué la mort le plus loin possible de la vie, à la vie même. 


Loïc Di Stefano

Philippe Charlier, Zombis, Enquête sur les morts-vivants, Taillandier, mai 2015, 224 pages, 19,90 eur

(1) L'erreur faite est de croire que le mythe moderne des zombies — depuis Romero, et tous ses succédanées qu'on trouve en bande-dessinée, jeux vidéo, films, etc. — n'est qu'une horde destructrice. Il y a dans le zombie moderne une épreuve de la rédemption pour l'humain, et une illustration de son incapacité à faire corps avec les siens, son instinct grégaire de survie et de le poussant à exterminerai bien les zombies que les vivants... Le zombie moderne est une parabole de la sauvagerie inée à l'homme.
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