Les Cheminots, Vichy et la Shoah. Des travailleurs ordinaires

"Ni héros ni salauds"

Rien de plus simple que de fâcher un syndicaliste du rail, lui rappeler le crime administratif dont la SCNF a été reconnue coupable du fait du transports de Juifs vers les camps de la mort pendant l'Occupation, cette manière aveugle de poursuivre leur travail quelle que soit la "marchandise" transportée. Pour preuve, l'Etat français a signé une convention en décembre 2014 à payer 60 millions de dollars aux rescapés et fils de rescapés américains du fait du rôle de la SNCF de la Shoah.   

"Ni philosémites, ni antisémites, [les employés de la SNCF] n'étaient pas non plus nécessairement indifférents au sort des Juifs. En réalité, ils faisaient leur travail, et par moment, nous pouvons constater qu'ils cherchèrent à soutenir leurs collègues et d'autres victimes des persécutions, s'ils le pouvaient et quand ils le pouvaient."

L'essai de Ludivine Broch, Les Cheminots, Vichy et la Shoah. Des travailleurs ordinaires, a le mérite de poser toutes les questions et d'oser toutes les réponses. Oui, les cheminots ont sauvé des juifs, mais essentiellement des employés du rail, sinon par rejet des politiques de Vichy mais plutôt par camaraderie, Ludivine Broch admet "une certaine dose d'émotion et d'horreur face à l'exclusion des Juifs de la société française et à leur arrestation. Cependant [...] les archives révèlent que cette émotion tenait davantage au fait que ces persécutions touchaient des collègues plutôt que des Juifs."

Retraçant l'histoire de la SNCF pendant les années noires de l'Occupation, puisant à une documentation solide et pour partie issue des archives inédites de l'entreprise même, Ludivine Broch éreinte la légende flamboyante des cheminots héroïques et résistants (que l'on doit en partie au film La Bataille du rail de René Clément,1945) tout en atténuant celle du collaborationisme passif. La vérité historique est dans l'entre-deux, faits de cas particuliers mais avec, malgré tout, une certaine pesanteur du fait de la spécificité de l'entreprise (son rôle social et sociétal, la masse de ses employés, etc.) et du crime de laisser-faire dont elle est accusée. 


Loïc Di Stefano

Ludivine Broch, Les Cheminots, Vichy et la Shoah. Des travailleurs ordinaires, Tallandier, septembre 2016, 384 pages, 23,90 eur
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