Alain Jugnon : la cantatrice est toujours chauve

Alain Jugnon explore ici la maladie du monde sans avoir besoin d'aller bien loin de chez lui, de chez nous. Le lieu mythique le plus propice aux "saletés" se situe dans la famille et ses proximités.


D'où ce puzzle épique d'un cycle théâtral qui peut rappeler Beckett ou Ionesco mais avec des accents plus aigus du côté d'une trivialité en rien positive. Le tout avec humour en une suite de scénettes presque obscènes par les mots plus que les situations.

Quoique entre "papa, maman, la bonne et moi", l'auteur nous emporte nous loin de la version  de Robert Lamoureux. Ici la déréliction et la trahison sont plus présentes. D'autant que la bonne n'a rien de celles des curés. Elle possède une langue bien pendue pour dire des vérités qui ne sont pas forcément d'usage.

L'effet farce est là pour apaiser les ébats de certains prélats dont le fils de famille est la proie;  il devient la voix de cette pièce au moment où il semble faire preuve de sa clémence : "Ô pédérastes incompréhensibles / ce n'est pas moi qui lancerai des injures / à votre grande dégradation".  Car il a mieux à faire. A savoir afficher comment il sort de la mélasse que les "situations" du texte mettent en place.

L'indécence est ici nécessaire, obligée. Si bien que se perçoit des accents à la Jarry, là où la bonne est bonne surtout pour un mari très peu honnête qui bat sa femme  pourtant digne poulette tandis que la donzelle prépare un "sandwiche gronichon" pour le rejeton.
De séquences en séquences la farce permet de mettre à nu la situation d'un enfant en perte de père et de repère et qui opère son combat, sa révolution en brouillant sinon les genres (quoi que...) du moins les rôles.

L'ensemble reste remarquable d'alacrité, de trouvailles là où un visiteur en casquette noire vient jouer partiellement l'ange aussi pasolinien qu'exterminateur. Mais c'est un moyen du purger la peur et ses avatars dans un appel à être au moment où le théâtre de boulevard tourne à l'impasse.


Jean-Paul Gavard-Perret


Alain Jugnon, En ordre de bataille, éditions Douro, avril 2021, 126 p.-, 15 euros

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