Thomas Bernhard et l'esthétique de la dégénérescence

Un jeune étudiant autrichien effectue avec son père, médecin de campagne ses visites habituelles. Les patients sont repoussants moins par l’état de leur morbidité  que par leur existence bornée, leur méchanceté naturelle. Belle manière si l'on peut dire de connaître le monde.

Le narrateur et Bernhard à travers sont sans équivoque : Chaque homme que je vois et chaque homme dont j’entends parler, en quelques termes que ce soit [dit le prince] m’apportent la preuve de l’absolue inconscience de l’ensemble de l’espèce, la preuve aussi que cette espèce et la nature tout entière sont une mystification.

Ses digressions se succèdent afin d'illustrer magistralement la déliquescence sociale, économique, intellectuelle du désordre autrichien mais pas seulement. Le caractère décousu d'un de des personnages dérangés ouvre une vision du monde implacable et cruel que le narrateur apprend à connaître. Et cela pour une raison majeure :  cela est absolument indispensable, selon le père.

D'où ce voyage où le narrateur constate qu'il existe plus de brutes et de criminels à la campagne qu’à la ville. Cardans la première : la brutalité tout comme la violence étaient fondamentales. Se découvre un itinéraire impressionnant parmi les plus sombres spécimens de l’espèce dite humaine.
Leurs "perturbations" renvoient à celles que le lecteur éprouve dans un jeu déstabilisant où un certain éloignement fait le jeu de la proximité. Tous ces personnages sortent de ce qui pourrait être un reportage documentaire sur leur personnalité, les travers, leurs conditions de vie.  La maladie, la mort, le meurtre, le suicide, la folie, la cruauté, la misère sociale et intellectuelle forment un tableau aussi sordide que caustique. Et c’est une constante dans l'œuvre de l'auteur. Ce livre ne déroge pas à sa règle.


Jean-Paul Gavard-Perret

Thomas Bernhard, Perturbation,  traduit de l'allemand par Bernard Kreiss,  coll. L'imaginaire, Gallimard, septembre 2021, 220 p.-, 9,50 €

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