L'oeil de Caine, Patrick Bauwen fait entrer la télé-réalité dans le thriller

Prenez dix candidats — représentatifs des différences socio-culturelles d'un pays comme l'Amérique (un vieux dandy homo, une grosse noire, une hispano, un gamin limite taré, une femme battue, etc. — et jetez-les dans le pire de la télé-réalité. Vous obtenez un show qui doit battre les records d'audience en montrant non plus des gens en action, mais des douleurs, des vrais sentiments, car le 
pitch de cette émission est que chacun à un secret, lourd, qu'il faudra révéler en direct ! Sauf que même le pire de la télévision peut encore descendre... Il ne suffit que d'un petit grain dans les rouages pour que tout ce qui était maîtrisé et calculé pour atteindre l'émotion vraie dérape. Le grain de sable ? un psychopathe taillé dans une montagne de muscles,  paricide, sous contrôle psychiatrique et qui s'échappe pour prendre, à sa façon, le contrôle du jeu. Rien ne va plus !

C'est avec les candidats que l'on se trouve, principalement, même si quelques chapitres nous plongent dans la « psyché » de Seth qui parle à une « voix » qu'on aura — à tort !! — tendance à vouloir lui attribuer. On suit d'abord les candidats de l'hôtel luxueux où ils se regroupent jussqu'au bus qui doit les conduire dans un autre hôtel luxueux, à Las Vegas, pour jouer aux rats de laboratoire. Mais, à la première station service,  comme un attentat, un homme cagoulé fait irruption alors que tout le monde semble avoir été drogué, un autre bus rempli de faux candidats déjà morts et brûlé prend leur place, le tout est carbonisé dans un incendie mémorable et, trou noir, les candidats se retrouvent en plein désert, dans le site abandonné d'une ancienne exploitation minière, sous un soleil de plomb, livrés à eux-mêmes. Le show du psychopathe peut commencer.

Rapidement, l'intrigue est centrée sur le personnage de Thomas Lincoln, dont on apprend par bribes de souvenirs pour partie de son enfance — mère décédée, père au chantier — qu'il passe pour la plupart à essayer d'aider les gosses des rues. Puis il devient médecin, est un brillant disciple du ponte national, et s'engage dans l'humanitaire, en Afrique, où un drame aurait eu lieu. Son secret ? C'est un peu le cœur de l'intrigue, Seth le tueur — qui expédie les candidats un à un selon une méthode calculée et avec une surabondance de vices, en filmant le tout et en laissant des enigmes aux « survivants » —, a comme un compte a régler avec lui, comme s'ils se connaissaient ou, pire, comme si tout cela n'était qu'une mise en scène macabre pour forcer Thomas à se libérer d'un vieux fantôme accaparant. Mais tout cea serait trop machiavélique...

Tout le livre — le jeu — va être d'un côté la folle tentative des candidats de comprendre ce qui se passe, de se soupçonner les uns les autres et finalement de s'unir contre le Mal, et de l'autre la folie en action de Seth, qui semble vouloir atteindre un objectif préparé dont rien ne paraît évident, même pour Lincoln à qui tout, finalement, était adressé. Mais Lincoln va-t-il survivre à ce jeu ? Et depuis quand n'est-ce plus un jeu ? Car les personnages apprennent petit à petit qu'ils ne sont pas choisis par hasard, et que tout semble avoir été mis en place pour qu'un schéma bien particulier se dessine. Mais lequel ? Et la mort des candidats était-elle prévue, dans une manière d'apothéose du genre télévisuelle ?

Si le sujet malgré tout n'est pas original — on se souvient du très mordant Scream test de Grégoire Hervier — L'Œil de Caine est un roman très prenant, une construction parfaitement calculée qui posera problème aux adeptes du genre, car la fin en multiples rebonds pose à la fois que le Mal n'est pas forcément là où on le cherche et que, concommitamment, il n'est pas de Mal dont on ne puisse s'extraire. Il n'est pas question de morale, ici, mais de vie dont il faudra rien moins qu'une machinerie infernale pour disposer à nouveau ! Car s'il atteint son paradis, Thomas Lincoln traverse l'enfer, le sien propre, dont tout ne semble là que pour monter une mise en scène, qu'un chateau de cartes dont on dévoilera la dernière astuce. Mais quel beau chateau !

Loïc Di Stefano 

Patrick Bauwen, L'oeil de Caine, Albin Michel, Janvier 2007, 485 pages, 22 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.