"Le Disciple du Mal" de Juliette Manet

Une série de disparitions toutes « signées » par la même personne, qui envoie aux familles une gravure style XVe d'un enfant subissant les violences sodomites d'un homme en pleine force. L'Amérique est en émois, la police peine jusqu'à une dénonciation anonyme qui la conduit dans un hangar désaffecté, où toutes les victimes moins une sont retrouvées, éventrées, émasculées, comme dans un théâtre du cauchemard… Le proppriétaire, Vincent Connely, est un homme au dessus de tout soupçon, politique influent, industrieux homme d'affaire et… victime, sous le nom de Schiller, douze ans plus tôt, des mêmes souffrances : sa propre fille a été massacrées, son ami violé, la bonne tuée à son domicile. L'enquête, où il partait « placé » au yeux de Senda, la jeune femme chargée de l'enquête, concluera sur la culpabilité d'un autre, qui se suicide au moment d'être interpelé sur dénonciation. L'affaire est close, et Schiller disparaît. Mais pour Senda, la vie normale est devenue impossible, hantée qu'elle est par les images qui vivent encore dans sa tête.

Connely-Schiller disparaît au moment où, libéré sous caution une première fois, il est de nouveau recherché, pour deux nouveaux meurtres, dont elui de sa femme qui souffrait de sa mainmise et s'en était plainte. Son avocate doit tout faire pour prouver qu'il est innocent, voire qu'il est la cible de toutes ces attaques barbares. Connely la guide même, lui fournissant des indices et des pistes depuis sa tanière. Mais tous les chemins mènent à lui…

« La plus grande force du Diable, c'est de nous faire croire qu'il n'existe pas. » 

De quoi poser d'emblée un climat épais et dérageant, Juliette Manet jouant en effet sur la corde sensible de la pédophilie agrémentée de sadisme lourdement pathologique, même si elle évite le glauque des descriptions par trop voyeuristes : ce qu'elle dessine rapidement suffit ! Mais si l'accroche de l'éditeur laisse présumer un « copycat » (1), ce qui va être finalement le cas, mais dans ne résolution d'intrigue venue de si loin qu'elle est presque détachée de tout ce qui précède (pas d'indice, pas d'insinuation) et apparaît « comme par magie » sans rompre toutefois le charme noir du roman, l'intérêt n'est pas là même si Juliette Manet joue à fond la carte du coupable présumé avec toutes les ramifications menant à lui et de son « ennemi caché », car s'il a tué la première fois — la chose est établie — Connely-Schiller a-t-il tué la seconde ? Reste la fin, ultime, brillante, et tellement en dehors des normes qu'elle déroutera les plus fervents adeptes du genre. 

Malgré plusieurs emprunts trop voyants (un « ver » informatique pour pirater Internet au film Opération espadon, le tueur qui se cache derrière un portail informatique et des codes aux Racines du Mal de Maurice G. Dantec, etc.) et des personnages auxquels on peine à s'attacher, Le Disciple du Mal tient toutes ses promesses, nous prend dans à son jeu, impose son rythme et conclut sur un coup gagnant, à contre-pied, quittant rapidement un lecteur qui vient de se dire qu'il a été bien manipulé. La morale de cette plongée dans les ténèbres de l'abomination humaine : la victime est parfois consentante…


Loïc Di Stefano

(1) Terme qui désigne un tueur qui copie les méthodes et la signature d'un prédécesseur, en signe de respect… 

Juliette Manet, Le Disciple du Mal, Albin Michel, "Spécial suspens", avril 2006, 313 pages, 18 euros

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