"Viens plus près", Sara Gran nous fait glisser progressivement du petit réel heureux d'un couple bourgeois vers la folie la plus sombre

Avec une manière bien à elle de ne pas y toucher, des économies de moyens et une écriture qui se veut presque neutre, au-dessus de l'empathie, Sara Gran nous fait glisser progressivement du petit réel heureux d'un couple bourgeois vers la folie la plus sombre


Tout commence par un bruit récurrent, un toc-toc qui se propage das le grand loft d'Amanda et d'Ed, mais dont on ne pourra pas trouver la source, comme un petit perturbateur  qui stigmatise la possibilité d'une faille dans le couple. Et la faille, c'est Amanda qui va la creuser, en s'enfonçant petit à petit dans une folie schizophrénique : habitée par un démon, elle va devenir tout autre, c'est-à-dire se révéler à elle-même, faire sortir la petite fille qu'elle était restée un peu, surtout du fait des manies ménagères de son mari, pour devenir une femme libre. Consciente du trouble, qui se manifeste d'abord par des cauchemars (une femme l'enlace outrageusement sur une plage bordée d'une mer rouge écarlate...), Amanda va lutter avec ses moyens : d'abord se renseigner en lisant des ouvrages comme Possession, L'encyclopédie des démons ou Lutter contre les démons aujourd'hui, dont elle va jusqu'à faire et refaire le test en 10 questions pour connaître son degré de possession par le démon ; puis en rencontrant un psychanalyste (surtout pour faire bonne figure devant Ed., et montrer qu'elle fait des efforts pour sauver son couple) et enfin des « conseillers spirituels » qui doivent lui donner les remèdes aux fins d'exorcisme. 

« Eh bien, il me semble que vous êtes en train de vous épanouir. Vous n'êtes plus une jeune fille désormais, vous êtes adulte et vous devez vous affirmer. »

Mais Naama, la seconde femme d'Adam, répudiée parce qu'il en avait vu la « fabrication » par Dieu et qu'il en avait été dégoûté, qui possède Amanda comme une amante effrénée, ne s'en laisse pas compter, elle fait d'Amanda une prédatrice sexuelle, et ne la libère partiellement de son emprise qu'une fois le forfait accompli : ce sont comme des réveils douloureux, comme après une incroyable ivresse on n'est plus maître de ses actes mais savoure ce qui a été fait pour nous. Car enfin, Naama va petit à petit révéler Amanda à elle-même, jusqu'à ce qu'elle apprécie vraiment être une nouvelle femme. 

« Bientôt, je n'ai plus eu une minute à moi. Quand elle n'était pas en moi, je la voyais courir à droite et à gauche, regarder par-dessus mon épaule, prête à s'insinuer en moi si nécessaire. Dans l'appartement, j’apercevais du coin de l'oeil une mèche de cheveux noirs ou un petit pied caché dans l'ombre. Au bureau, j’apercevais sa main aux longs ongles naturels en train de gribouiller des modifications sur mes projets. Les pertes de mémoire sont devenues monnaie courante. Dix minutes en rentrant du travail, une heure, puis deux ou trois, des journées entières. »
 
Le monde bien propret d'Amanda va exploser, par petite touches dont l'ensemble n'est pas sans conduire le lecteur très pris et très heureux de l'être aux alentours du Horla de Maupassant, et la prégnance de la folie ou de la possession réelle (le doute demeure tout au long du roman) ne pourra se conclure que dans un final flamboyant et sanglant. Quelle belle plongée dans le noir !


Loïc Di Stefano


Sara Gran ,Viens plus près, traduit de l'anglais (USA) par Françoise Smith,
Sonatines, 184 pages, janvier 2010, 15 €

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