"613" le polar judeo africain du psychanalyste Tobie Nathan

"Il n'avait jamais entendu dire qu'il y avait des Juifs dans ce coin (Cameroun, Zaïre... par là...) ... et des Juifs noirs, en plus... Ben ! il ne savait pas tout, mais quand même !"

La diaspora a été jusqu'en Afrique, au Bongo (dont la capitale est Zébraville, la ficelle est assez grosse...), d'où une communauté juive s'enfuit après le renversement du dictateur local. Arrivé à Paris, c'est massacres et courses poursuites sans fin dans lesquels se trouvent impliqué un groupe improbable et perdu : un clochard, un psychothérapeute, une femme de ménage, une étudiante, un flic. Ceux d'en face ? rien de moins que le Mossad, la DST, le Gouvernement américain et les nouveaux dirigeants du Bongo, tous plénipotentiaires et mitrailleurs sans sommation.

L'intrigue est vite posée : il y a un secret d'état qui se promène, le psy. le récupère sans mot dire mais cela se sait, du coup il est à la fois pourchassé et protégé par tout le monde, jusqu'à ses compagnons qui ne sont pas ce qu'ils paraissent (le clochard, par exemple, est un ancien gradé du Mossad...), avec des sous-intrigues amoureuses et beaucoup de doctrine juive et de palabres sans fin. Mais ce n'est pas là que ça se passe, c'est dans la langue et dans l'identité .

La Langue est une déferlement permanent de pilpoul (1) dont la figure centrale est la maman du psy., qui a un flot quasi caricatural. C'est la Vérité, mon fils, baroukh hachem, etc., la maman juive dans toute son exponentiel débordement permanent, le tout mâtiné de proverbes arabes et des relations amoureuses de son fils qu'elle veut surveiller, même s'il a quarante ans... Et si parfois les blagues sont franchement puériles (2), l'ensemble se tient, par la vitesse, car ça défile sec, c'est porté sans jamais ralentir jusqu'au terme. Allez, la fin pirouette est un peu décevante, mais il faut bien s'arrêter à un moment donné.

L'identité, c'est le peut-être le côté pénible de ce polar, où il est plus question d'identité juive et de points de doctrine qui s'entrechoquent entre séfarades et ashkénazes. 613, c'est le nombre de mitzvot (commandements) qui sont imposés aux Juifs par leur doctrine, et donc la question de ce polar doctrinaire est de savoir s'il faut absolument les respecter quelle que soit la situation ou si, par exemple quand sa vie est en danger, il y a dérogation. Je ne suis pas certain que l'auteur y aille du second degré, même si la caricature juive est chargée à la mitraille lourde. C'est quand même un polar religieux dans ses personnages et son fondement, la foi n'est pas un alibi à l'histoire, elle est l'histoire même. Jusqu'à la fin, le doute se tient sur les intentions de l'auteur, entre prosélytisme et critique amusée, mais c'est la fin qui donne son sens à l'histoire et clot le débat : le narrateur s'est reconverti, c'est maintenant un pur et toute sa vie n'était qu'un égarement... Passe encore un peu la critique du Mossad, mais c'est un maigre contrepoids.

Polar à manier avec pincettes et un grand recul pour apprécier, quand même, ses qualités. Mais je reste persuadé qu'avec une telle maîtrise de la langue et un tel sujet, il y avait mieux à faire...

Loïc Di Stefano

(1) "Pilpoul, ça veut dire "le poivre" - autrement dit, le débat permanent, celui qui donne son goût à l'existence."

(2) "Déjà le téléphone qui explose, puis la raquette juste devant l'immeuble et maintenant la bonne qui se fait la malle... Remarque, y a aucun mal à se faire la bonne, c'est vrai !", entre autres...

Tobie Nathan, 613, Rivages, "Noir", août 2004, 296 p., 8,40 euros

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