John R, tueur implacable, a le "Tokyo Blues"

Après une mission qu'il voulait la dernière, John Rain espère raccrocher (1). Mais le tueur à la solde de la CIA et des Yakuzas est pris dans une tourmente qui le met à mal.

Tuer est un art, et surtout quand on a pour spécialité de rendre le meurtre indécelable, de faire en sorte qu'on puisse penser à une mort naturelle, quels que soient les doutes qui subsistes. Cette spécialité, John Rain, ancien de commando qui travaille avec un code d'honneur à l'ancienne (pas d'enfant, pas de femme, pas d'innocent, etc.), en a fait sa carte de visite. Et sa maîtrise des arts martiaux fait de lui un combattant hors pair, qui préfère causer un accident fatal qu'appuyer de loin sur une gachette. Mais une faiblesse, le souvenir tenace de Midori, l'a laissé exsangue moralement et quasi incapable de reprendre son métier. Du moins, le coeur n'y est plus et le voilà préparant son installation anonyme sous le soleil brésilien.

Mais ses anciens employeurs cherchent par tous les moyens à le retrouver, et de contre surveillance en menaces plus ou moins larvées, le voilà impliqué contre son gré dans une mécanique de politique international où chacune des parties engagées réclament son implication. Pour y voir un peu plus clair, il investit un groupe de gros bras des Yakuzas et plonge dans les secrets du Pride, le free fight qui fait florès au Japon : combats sans règle où la mort est le terme unique, tous les coups sont permis, la clandestinité de mise. Pour faire ses preuves, il doit combattre, il doit de nouveau tuer pour survivre.

Maniaque de la sécurité, John Rain applique une vigilance constante sur ses moindres faits et gestes et ceux de ses relations. Cela fait de ce polar comme un manuel de survie en milieu hostile. Surveillance, contre surveillance, PSD labyrinthique dans les rues et bas-fonds de Tokyo pour s'assurer de sa parfaite immunité, John Rain ne voyage jamais sans être prêt à fondre sur le premier espion venu. Mais ce n'est pas un baroudeur cherchant l'aventure, il évite les ennuis autant que possible. Ce n'est pas un faible, mais un prudent, ce qui le rend d'autant plus humain et attachant. 

Polar d'adrénaline, les scènes de combats nombreuses et variées (entraînement en dojo, combat de rues, Pride... scènes d'action qui ont décidée Jet Li à acquérir les droits d'adaptation cinéma !) sont d'une très grande efficacité et d'un réalisme pur. Les techniques de combats, bien qu'impressionnantes, sont assez détaillées pour rendre les mouvements crédibles. A cela s'ajoute les doutes et les craintes des combattants, qui, malgré leur technicité et la fièvre qui les prend, ne sont pas des têtes brûlés : John Rain s'inquiète même de devoir combattre le chef du clan, mastodonte qui transpire l'amour de la violence et de la mort, au point qu'il envisage de tout abandonner. L'aventure les feront s'affronter, bien sûr, c'est le combat attendu comme dans un jeu vidéo il faut en passer par le boss, mais rien ne se fait avec la belle sérénité d'un mauvais polar où tous les coups sont gagnants. La grande force de cette écriture, en plus de toutes ses qualités narratives, c'est l'émotion d'un sentiment de vraisemblance qui s'impose à chaque rebondissement. Un super héros - quand même, John Rain n'est pas le premier quidam venu - d'un charisme rare, loin des clichés de l'Amérique sous stéroïdes.

Polar politique, John Rain se retrouve dans un conflit opposant les tenants du pouvoir japonais et les réformateurs, tous plus ou moins subventionnés par la CIA via un Yakuza notoire. Un jeu de domino se met en place, la finance internationale pose ses pions et s'en joue à sa guise. Au milieu de ces revirements diplomatiques, où les ennemis s'entre-aident et les frères de sang n'ont de cesse de se méfier les uns des autres, John Rain impose sa sérénité à tous comme un îlot où fuir un instant la folie des hommes. C'est un renversement des valeurs traditionnelles, le tueur à gages devenu tenant de la morale quand les hommes "de bien" s'enferment dans leurs mensonges et la veulerie de leurs obligations.

Polar magnifique par son rythme et l'ambiance réelle qui ne cesse de nous interroger au fil du développement d'une intrigue tirée au cordeau, Tokyo blues est aussi - cerise sur déjà bien copieux gateau - la rêverie poétique d'un promeneur des nuits japonaises, le pèlerinage d'un homme de coeur sur la terre de ses ancêtres, une réflexion sur l'éthique et ce qui fait, au fond, la valeur d'un homme.  

Loïc Di Stefano

(1) Lire La Chute de John R., Belfond, février 2003, réédition Pocket, février 2005

Barry Eisler, Tokyo Blues, traduit de l'Anglais par Pascale Haas, Belfond, « nuits noires », mars 2005, 393 pages, 20 € 

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