"La Onzième plaie", cybercriminalité pédophile et crise sociale dans un polar très prenant

LA ONZIEME PLAIEQuel point commun entre un réseau de cybercriminalité pédophile, la plus grave crise sociale en France, des narcotrafiquants, le « suicide » de plusieurs jeunes filles dans les sous-sols du métro parisien ? Aurélien Molas, et son incroyable thriller La Onzième plaie, roman haletant mais surtout dérangeant car les bons et les méchants ne se différencient pas aussi nettement qu’ils le devraient. Un thriller dans la lignée de Jean-Christophe Grangé notamment par la maîtrise de la mise en scène. Pourtant le sujet, la pédophilie, n’est pas facile à traiter d’autant qu’une de mes dernières lectures, portant sur ce sujet, m’avait clairement dégoutée. J’ai donc ouvert ce livre avec des pincettes me demandant sur quoi j’allais encore tomber. Un thriller glauque et malsain ? Et bien non pas du tout. Car à 24 ans, Aurélien Molas a réussi à traiter ce sujet sensible avec violence, de façon brute sans pour autant sombrer dans le voyeurisme primaire. Les personnages y sont pour beaucoup : charismatiques, ils ne sont ni totalement bons ni totalement mauvais. Tous servent un dessein qui, pour le lecteur, reste obscure au départ.

L’eau changée en sang, les grenouilles, les moustiques, les taons, la mort des troupeaux, les ulcères et….

La France sombre dans le chaos, plongée dans une crise sociale sans précédent, les casseurs investissent les rues et certains quartiers sont devenus des no man’s land pour les forces de police. La France ne compte plus ses plaies et la police tente vaille que vaille de garder un semblant d’ordre. Dans ce chaos, une section dirigée par le commissaire Maxime Kolbe, composée du capitaine Broissard et du lieutenant Léopold Apolline, enquête sur les réseaux pédophiles. Mais tout leur travail est mis à mal lorsque l’un de leur suspect est innocenté et qu’ils se retrouvent dans la ligne de mire de l’IGPN. Le commissaire et son second sont accusés d’avoir fabriqué des preuves contre celui que la presse a appelé « le monstre de Jarnages », des accusations ayant indirectement entraîné la mort de la femme et du fils du suspect, brûlés vifs dans l’incendie de leur maison.

Parallèlement Broissard est envoyé au Havre pour étudier des DVD pirates interceptés dans un conteneur. Neverland, titre d'un des DVD, livre une vidéo pédophile d’une rare violence projetant l’enquêteur dans son passé. Il transmet ces images au lieutenant Léopold Apolline mis sous les ordres d’ « une commissaire » hostile aux méthodes de Kolbe.

La grêle, les sauterelles, les ténèbres, la mort des premiers nés et … la onzième plaie.

Au même moment Blandine Pothin et Paul Garcia, sous les ordres du commissaire Jean- François Rilk, se retrouvent sur les lieux d’un incident voyageur : deux jeunes filles se sont jetées sous un métro. Rien pourtant d’après les vidéosurveillances ne laissaient présager un tel acte. Si le commissaire leur intime l’ordre de classer l’affaire, Blandine Pothin refuse de se contenter des premiers éléments de l’enquête.

Ces affaires semblent n’avoir aucun lien entre elles. Pourtant les enquêtes se mêlent au milieu du chaos ambiant. Chacun des protagonistes avance dans son enquête s’aventurant dans une histoire plus sombre, plus complexe et plus dévastatrice qu’il n’y semblait au premier regard. Il serait dommage d’en dévoiler davantage. Mais Aurélien Molas dépeint des personnages entiers, sombres et violents chez qui la moralité discute le pas à la nécessité car il est bien connu que nécessité fait force de loi. Au milieu de cette société en crise, certains de ces représentants de l’ordre sont désabusés et franchisent la ligne qui sépare le bien et le mal. « Au milieu de la nuit, Yahvé frappa tous les premiers nés dans le pays d’Egypte, aussi bien le premier né de Pharaon […] que le premier né du captif dans la prison et tous les premiers nés du bétail. » La dixième plaie correspond au sacrifice d’une génération, la onzième plaie est-elle le sacrifice de la suivante ?

Les phrases et les chapitres courts, une écriture rythmée, un sens de la mise en scène et des mises en attente du lecteur fébrile, maintiennent la tension d’un bout à l’autre de la lecture. Une écriture épurée qui correspond à la psychologie de personnages bruts. Tout juste regrettera-t-on que les personnages n’interagissent pas plus entre eux. Pour un premier roman, La Onzième plaie laisse une impression de maîtrise et de savoir-faire, celui qui sait à quel moment ne rien montrer pour que l'horreur du sujet se fasse plus prégnante chez le lecteur sans choir dans la facilité glauque de scènes trop crues et racoleuses.


Julie Lecanu


Aurélien Molas, La Onzième plaie, Albin Michel, février 2010, 416 pages, 20 €

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