"Monsieur Jour", plongée dans l'univers du complot

La France, le roman d’espionnage, Manchette et Patrick de Friberg

Patrick de Friberg s’est fait remarquer depuis une vingtaine d’années par l’acharnement qu’il met à écrire des romans d’espionnage, genre plutôt peu représenté en France (à l’exception de Gérard de Villiers). C’est oublier le profond cousinage qui existe entre roman noir et espionnage, bien représenté par exemple par John Le Carré en Angleterre et Robert Littel aux Etats-Unis ; c’est aussi négliger le fait que le très regretté Jean-Patrick Manchette envisageait de revenir via un cycle, Les gens du mauvais temps dont il n’avait rédigé sans le finir que le premier volume, La princesse du sang. Le critique sagace et blasé se souvient enfin que Patrick de Friberg avait livré Momentum, thriller bien construit qui présentait déjà le thème de l’infiltration de l’Europe par la Russie (en remontant jusqu’à l’époque de la défunte URSS) sous la houlette de Vladimir Poutine. A ceux qui ont aimé Momentum, on ne peut que recommander Monsieur Jour même si, cette fois-ci, notre auteur embrasse le temps long de l’histoire…

Une longue infiltration

Recruté par le NKVD pendant la guerre, Julien Jour entre, grâce à  des relations familiales, au service du chiffre du ministère des affaires étrangères. Ainsi, l’URSS dispose d’une source de renseignements de premier ordre au sein d’une des principales puissances occidentales. Mais, les années passant, Julien Jour, authentique révolutionnaire, se sent de plus en plus négligé plus par ses agents traitants. Lorsque vient le jour de la retraite au début des années 80, il traverse une longue période dépressive qui ne prend fin qu’avec le meurtre de son officier traitant, un jeune russe sans la foi (communiste) qui voulait passer à l’ouest à cause d’une femme. Vingt ans plus tard, le voici dans la maison du général Carignac, maître espion de la DGSE française, qui a convié pour le coup son adjoint Lefort. Car monsieur Jour a laissé deux voitures piégés avec deux bombes « sales », l’une près du Kremlin et l’autre dans un parking près de l’Elysée. Son but est simple : que ses anciens maîtres et ses anciens ennemis, qui l’ont ignoré toutes ses années, l’entendent enfin. Mais le vieux communiste est loin de se douter qu’il n’a été et n’est toujours qu’un pion dans un jeu d’échecs entre la France et la Russie, dont Vladimir Poutine lui-même – ainsi que son conseiller Grychine - tire les ficelles…

La recette d’une réussite

Déjà, saluons Patrick de Friberg pour une chose : ne pas avoir sacrifié au pathos qui semble irriguer certains auteurs du genre, de Kent Harrington à William Temple. Même si monsieur Jour a eu jeune une déception sentimentale, l’auteur ne s’y attarde pas (ouf !). De ce roman, on peut dire que de chaque mystère résolu naît une nouvelle énigme, tant l’univers des services secrets (qui passionne, c’est évident, Patrick de Friberg) se prête à ce genre d’intrigues à tiroirs. Le personnage du général Carignac, enfin, fascine et amuse par son humour et sa distance. Last but not least, croiser dans un roman des personnages comme François Mitterrand (superbe scène de visite à l’hôpital), Pierre Bérégovoy, François de Grossouvre ou Vladimir Poutine ( !) sort de l’ordinaire. L’auteur bâtit des fictions crédibles à partir de la réalité complexe du monde actuel où intérêts économiques, intrigues de palais et jeux géostratégiques s’imbriquent pour donner naissance aux pires horreurs. Monsieur Jour sonne donc juste (à défaut d’être vrai mais là n’est pas le propos de la littérature) et secoue le lecteur. On attend la suite.

 

Sylvain Bonnet

Patrick de Friberg, Monsieur Jour, Nouveau monde éditions, juin 2015, 320 pages, 17 €

 

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