Jean-Louis Poitevin : Jonas est de retour

Poitevin ose le noir de la philosophie douteuse (entendons celle d’Heidegger)  non pour fondre en sa lumière sombre mais pour la démonter et ébranler le  théâtre de ses apparitions.  

Surgit de la spéculation narrative du texte du tout autre : celui de l’ordre de l’enjambement, de la métaphore de l’être face aux cérémonies du chaos telles qu’Heidegger les construisit dans l'inconsolable perte d’avoir dû quitter un paradis utérin de l’état-total qu’il remplaça par l’état totalitaire.  

Cette nouvelle version de la légende de Jonas se veut dure comme une pierre mais en celle-ci demeure une fontaine de vie prête à jaillir. Aussi dilatées qu’elliptiques les pensées surgissent selon divers tracés et narrations qui font suer les concepts de guerre et de violence. Poitevin les "ironise" en montrant la haine qu’ils traînent derrière eux. 

Refusant d’incliner vers l’inféodation le narrateur dont la voix se mêle au souffle de Jonas (si bien que le "je" est un "nôtre") démonte ce qui dans une philosophie blesse, annihile, étouffe. Il brise les illusions d’alouettes des esclaves  en créant ce que Prigent appellerait un babil radical des classes dangereuse pour l’ordre établi. 

L'histoire avance dans la délivrance et la séparation. Et un tel texte est  moteur. Il porte le virus mortel aux langages totalitaires qui cherchent toujours des boucs émissaires en tant qu'accélérateurs de l’Histoire. Il s'agit en effet de détruire qui viendrait contrarier la pérennité de l’état-fort, absolu. 

La dynamique reste omniprésente dans le livre. Elle rejette la pensée qui enferme, retient. Et ce avec la lucidité capitale puisqu'elle ne cherche jamais à rendre son "trait" intelligent. Le "geste" de la fiction veut donc la liberté et l’ardeur pour sommer et parfois assommer les concepts, jusqu’à parfois les retirer de leur immobile splendeur. Le corps en ses désirs semble marcher  en avant de lui-même là où Poitevin par son écriture éclaboussante en retire l’écume comme on retirait jadis la peau sur le lait.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Jean-Louis Poitevin, Jonas ou l'extinction de l'attente, éditions Tinbad, janvier 2021, 158 p.-, 18 euros

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