Les adresses de Cyril Huot à Pasolini

Cyril Huot rappelle comment, imbriqué dans son propre corps comme dans celui de l’histoire, Pasolini ne cesse de mettre en place un monde tourmenté. Des vagues brunes ou noires, des torrents de laves aux voluptés crasses terrassent l'horizon éthéré.
Animée par un imaginaire en continuelle dérive mais aussi en état d’extrême lucidité l’œuvre reste par excellence une quête d’exigence ouverte sur la béance de diverses plaies. Pasolini y plonge, invente des récits, donne voix et corps à bien des mutismes et des ombres. Il a aussi parfois recours – comme déjà avec son Évangile selon Saint Mathieu - à des figures christiques. Il  trouve là le moyen de devenir voix parmi les voix premières, fidèle peut-être à l’effroi qu’il s’agit toujours de sublimer.
Pour le souligner Cyrille Huot, sous forme d'adresse à l'auteur victime de son temps,  montre  l'infini ressassement de  l'innommable prêt à s'engloutir dans l'ombre que Pasolini a entrepris et qui n’absout jamais la cruauté des maîtres et l’asservissement de ceux qui acceptent les concessions. L’œuvre devient une  marche forcée sur un chemin de Damas modèle années 80 du siècle dernier jusqu'à – qui sait ? – atteindre une nuit originelle dont personne ne sort jamais. 
L'essayiste illustre toute la force de sa poétique actionniste de ce Saint Paul d'aujourd’hui ici. C’est à notre société qu’il s’adresse, c’est sur elle qu’il pleure, c’est elle qu’il aime, qu’il agresse et embrasse tendrement . Reprenant parfois à la lettre les Épîtres de l’auteur  Huot ne se soumet pas pour autant à une vision canonique sur le créateur italien.
Il s’est emparé du personnage pour illustrer l'importance de ses brûlots, entre autres improbables dans l’industrie cinématographique de l’époque. D’un côté de catholicisme l’avait rejeté. De l’autre l’orthodoxie marxiste en vigueur à l’époque n’avait que faire d’un Apôtre dont le traitement risquait de mettre à mal les propres pouvoirs de l’idéologie encore stalinienne avant 1968.
Nous sommes confrontés – et cela n'est jamais trop  tard – à cette œuvre. Élaguant le côté trop symbolique de Pasolini celui qui s'adresse à lui met en évidence les arêtes vives de son œuvre. Elle reste le plus vibrant appel à la révolte et à la liberté.  Jaillit l'écho d'un vacarme aussi intime que général, politique que quasi métaphysique.

Jean-Paul Gavard-Perret

Cyril Huot, Caro Pasolini (Lettres à une brute), Tinbad, février 2023, 192 p.-, 22€

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