Toni Morrison et "Home" : l’authentique retour chez "soi", un roman plein de poésie et d’humanité


Dans le contexte parfaitement reconstitué des années 1950, en Georgie du sud aux Etats-Unis, alors que la ségrégation raciale persiste, un frère et une sœur, Franck et Cee, retournent sur leur terre natale pour chasser les souvenirs qui les tourmentent. Ce retour aux sources leur permettra-t-il d’accepter enfin leur passé douloureux, panser leurs blessures et adopter une nouvelle façon d’être au monde ?

 

Assis dans le train en direction d’Atlanta, Franck prit brusquement conscience que ses souvenirs, aussi puissants fussent-ils, ne l’écrasaient plus ni le plongeaient dans une détresse paralysante.

 

Dans son nouveau roman, Home, Toni Morrison explore l’être humain et la vie en profondeur, remuant les entrailles de ses personnages, creusant dans leur chair, soulevant leur peau. L’auteur rend autant hommage à leurs démons qu’à leurs sentiments d’empathie et d’amour inconditionnel. Comment un même homme peut-il tuer autrui et être prêt à mourir pour un proche ? C’est ce clair-obscur de tout être humain que Toni Morrison caresse au fil des mots avec un profond respect.

 

Dans mon cœur de petit garçon, je me sentais héroïque et je savais que, s’ils nous trouvaient ou s’ils la touchaient, je serai prêt à tuer.

 

En peu de pages, l’auteur nous offre une écriture d’une grande puissance et d’une infinie beauté, plongeant ses lecteurs dans un univers onirique digne d’un conte de fée pour permettre aux pires sentiments humains et aux plus nobles de s’offrir une danse de réconciliation. Toni Morrison évoque toutes les facettes de l’être humain avec humilité et poésie. Subtilement, elle affirme que rejeter ce qui advient n’a pas de sens, mais que dans l’acceptation siège aussi un incroyable pouvoir de transformation. Dans un contexte très dur et rempli de souffrances, l’auteur nous prouve que la force de vie et l’énergie de l’amour parviendront toujours à contrer un destin qui semble préétabli.

 

Franck, de retour de la guerre de Corée, en proie à d’affreuses hallucinations, est un personnage d’une grande douceur et d’une sincère générosité. Cee, une fille d’apparence fragile et cabossée par la vie, frôlant la mort, est dotée d’une incroyable force de vie et d’une volonté sans limite. En vie grâce à un amour fraternel balayant tout obstacle, le frère et sa sœur connaissent une véritable quête initiatique, traversent les époques et portent un regard nouveau sur leur histoire et celle de leur famille. Comment renaître à soi-même et se réconcilier avec une existence constituée de misère et de souffrance ?

 

Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je parle. Trouve-la et laisse-la faire du bien dans le monde. (…) Cela ne tenait donc qu’à elle. Dans ce monde, parmi ces gens, elle voulait être l’individu qui n’aurait plus jamais besoin d’être secouru.

 

Oscillant entre passé et présent, ressuscitant des souvenirs d’enfance et l’histoire de toute une lignée familiale de noirs américains, l’auteur signe un roman court et dense, construit telle une chanson. Une mélodie poignante alliant des notes graves, aigües, entrecoupées de fausses notes empreintes d’une authenticité dont la fréquence vibratoire résonne tout au long du récit.

 

Dans le silence qui suivit l’explosion, les plaintes flottèrent comme les notes de violoncelle bon marché qui émanent des cages à bestiaux dans lesquelles les bovins flairent leur avenir baigné de sang.

 

Home est une histoire pleine de suspense. Les personnages sont très attachants, le contexte historique touche et interroge. Mais ce qu’on retient en refermant ce livre, c’est l’incroyable mélodie des mots, la poésie, la rage d’exister, l’envie d’avancer. Ce sont toutes ces notes qui déraillent en sonnant si juste et qui nous bercent dans notre lecture en nous touchant là où d’habitude on préfère fermer les yeux.

 

Toni Morrison transmet cette force de vie dont nous avons tous besoin. Et, aux côtés de Franck et Cee, on garde espoir, on avance. On vit. Home ne symbolise pas uniquement notre pays, notre terre natale. Home c’est surtout ce lieu unique et si précieux qui réside en chacun de nous. Cette maison intérieure nous offrant à tout instant un refuge. Et, en refermant ce livre, on se dit qu’il est en temps de « rentrer chez soi ».


Julia Germillon


Toni Morrison, Home, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière, Christian Bourgois Editeur, août 2012, 154 pages, 17 euros


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