"Retour à Babylone" : Hollywood, l'envers du décor

En 1975, paraissait aux États-Unis Hollywood Babylon, véritable pavé dans la mare. Pour la première fois (pas tout à fait puisqu’existaient depuis plusieurs décennies des tabloïds du genre Hollywood Confidential), un auteur racontait par le menu l’envers du décor.


On a souvent reproché à Kenneth Anger d’être un colporteur de ragots, ce qui est faux. En rapportant des vérités auxquelles le grand public n’avait pas accès, il n’a fait que compléter un portrait, donner une image réelle de la Mecque du cinéma. Il a démontré, exemples à l’appui que, d’une part, Hollywood était une usine à broyer les individus et, d’autre part, qu’elle était peuplée de personnalités hors normes dont une poignée de tarés, un grand nombre de déséquilibrés et un monceau d’individus se croyant au-dessus, ou à tout le moins hors, des lois. En gros, quiconque n’entrait pas dans le moule (bon mari, bon père de famille, bon pratiquant, bonne morale, etc.) se retrouvait sanctionné voire castré. Or c’est précisément avec tous ces gens-là (que d’aucuns considéraient comme des rebuts) que s’est construite non seulement Hollywood mais l’Amérique toute entière ! Anger a cassé l’imagerie d’Épinal pour nous montrer une réalité non point sordide mais humaine. Non les acteurs ne sont pas des êtres parfaits, non les producteurs ne sont pas des altruistes. À Hollywood, comme dans tous les États-Unis et comme dans une grande partie du monde, seuls comptent la rentabilité, le box-office.


Un tel ouvrage, pourtant indispensable à la compréhension du cinéma américain, ne pouvait trouver sa place en France. Au pays de Voltaire on préférait analyser les films, leur trouver des prétentions intellectuelles, les hisser au rang de références culturelles. Oubliant volontairement dans quelles conditions ils avaient été tournés et quels prix avaient payé ceux qui y participaient ou, au contraire, ceux qui en avaient été rejetés. Une première édition parut néanmoins chez Jean-Jacques Pauvert, rééditée en 1977 par Régine Deforges. Mais le livre fut très peu relayé par la presse et le public s’interrogea, à tort, sur la validité de ce produit.


Il fallut attendre 2015 pour voir réapparaître une édition complète, fidèle, exhaustive, grâce aux éditions Tristram.


Or, entre temps, Anger avait commis un volume 2, sobrement intitulé Hollywood Babylon II. C’est celui-ci qui sort chez nous sous le label Retour à Babylone (la couverture en est différente ; celle du produit original présentait une Elizabeth Taylor obèse, celle-ci nous offre une sculpturale Jayne Mansfield… pourtant absente du livre !)


On y retrouve les mêmes ingrédients que dans le premier : des comptes-rendus fielleux sur le comportement de certaines stars de Clark Gable à James Dean, de Carole Lombard à Joan Crawford. Présents aussi un chapitre sur l’intrusion de la Mafia à Hollywood plus divers procès qui firent sensation. Un long (88 pages) et glacial chapitre traite des nombreux suicides au pays du 7ème art américain. 75 personnalités qui, déçues, écœurées, fatiguées, préférèrent passer de l’autre-côté de l’écran de la vie. Et la liste est loin d’être exhaustive !


À nouveau, Kenneth Anger nous entraîne dans les couloirs sombres et souillés d’Hollywood. N’importe quel aspirant acteur ferait mieux de lire cet ouvrage avant de se lancer dans l’aventure, n’importe quel cinéphile devrait s’en souvenir pour mieux comprendre certains films.


Il convient aussi de remettre ce Retour à Babylone dans son contexte. Le livre a été rédigé en 1984. C’est-à-dire à une époque où n’existait pas Internet ! Kenneth Anger disposait d’une documentation en béton (et de renseignements glanés dans son cercle de relations). Certes, aujourd’hui nombre de ses informations se retrouvent sur la toile. Pour exemple, ce qu’il raconte sur Bella Darvi existe sur plusieurs sites (qui se sont, sans doute, inspirés des écrits d’Anger !). En quelque sorte, l’auteur a été dépassé par le raz-de-marée d’informations (et, pour le coup de ragots, non vérifiés) qui balaie le Net. De plus certaines de ses trouvailles ont, depuis, été largement développées. Dont le suicide de George « le premier Superman » Reeves qui fit l’objet d’un film…


Mais ne boudons pas notre plaisir. Retour à Babylone est une mine d’informations. Non une descente aux enfers mais un aperçu de la coulisse. Avec quelques chemins de traverse : que vient faire la Dahlia Noire dans cette galère (depuis 1984 on a beaucoup écrit sur elle) ?


Retour à Babylon est un ticket pour une excursion dont on ne ressort pas indemne...


Philippe Durant



Kenneth Anger, Retour à Babylone, Tristram, avril 2016, 340 pages, 12,95 €


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