Wonder Woman, déesse de la guerre, tome 1 – Insurrection

Wonder Woman ne sait plus où donner de la tête : non seulement elle doit assumer son nouveau titre de déesse de la Guerre, rester disponible pour les missions de la Ligue de Justice, et diriger l’île des Amazones ! L’île des Amazones justement, où des extrémistes fomentent la rébellion contre Wonder Woman, la nouvelle reine, accusée de ne pas assez s’occuper de ses sujets… L’objet de leur courroux ? Un petit groupe d’hommes vivant reclus sur l’île, qu’elles rêvent de passer au fil du glaive. Wonder Woman parviendra-t-elle à assumer pleinement tous ses rôles ?

 

Wonder Woman est souvent vue par le grand public comme une icône du féminisme, en partie parce qu’elle est l’une des plus anciennes « super femmes » (rappelons qu’elle a été créée en 1941). Pourtant si on examine de plus près sa carrière dans les comic books, on se rend vite compte que cette image est probablement un peu surfaite : la cause des femmes n’a pas nécessairement été sa principale préoccupation au fil des années. Rien que pour l’exemple, la dernière fois que dans sa série, Wonder Woman s’est intéressée aux femmes remonte maintenant à plusieurs années. Sans compter que, n’en déplaise aux féministes, son créateur, Charles Moulton, n’hésitaient pas après 1941 à la représenter régulièrement ligotée par des hommes (ou des femmes) dans des postures bondages et audacieuses pour l’époque…

 

Quand il reprend le titre en 2011, le scénariste de renom Brian Azzarello mets un peu de côté l’héritage de plusieurs décennies d’aventure pour remodeler l’univers de Wonder Woman. Sa série prend une tournure plus « mythologique », et disons-le tout net, de fait Wonder Woman, bien occupée par les complots familiaux, semble se désintéresser quelque peu des humains (ne parlons même pas des femmes). En 2014, DC Comics nomme sur le titre une nouvelle équipe, ou plus précisément un couple : Meredith et David Finch. Mais il a suffi d’une interview sur le site américain Comic Book Resources (à lire ici en vo) pour déclencher la polémique. David Finch explique en gros qu’ils souhaitent faire de l’héroïne une femme belle et forte, mais pas nécessairement féministe. Tôlé sur le web : une poignée de chroniqueuses américaines se prétendant « féministes » (notez l’emploi des guillemets) jugent les propos du couple sexistes ; quelques extrémistes demandent à grands cris l’éviction des artistes. Du grand n’importe quoi : les planches ne sont même pas parties chez l’imprimeur, pas une seule ligne n’a été lue qu’on savonne déjà la planche aux artistes. Où comment, à mal défendre une cause, on finit par la desservir…

 

Meredith Finch paie peut-être deux choses : primo, le fait d’être une scénariste inexpérimentée propulsée sur une « grosse série » ; et secundo, de passer après Brian Azzarello, scénariste chevronné, qui avait su renouveler l’univers de l’héroïne. Pour autant, le fait d’avoir été la victime d’une injustice ne fait pas de son comic book un incontournable.

Soyons honnête il y a quelques problèmes dans l’histoire que Meredith Finch a concoctée. Par exemple, la résurrection d’un proche est plutôt mal gérée (avec son cliché à la « Use the Force, Luke »). Dans le même ordre d’idée, la vieille Derinoé, la méchante de l’histoire, manque franchement de charisme et surtout d’une raison crédible pour s’attaquer à Wonder Woman (même si un annual en fin d’album vient corriger le tir, on va y revenir plus bas).

Pourtant tout n’est pas jeter, loin de là. Sans se débarrasser du travail de fond d’Azarrello, Meredith Finch s’acharne à nous montrer une Wonder Woman débordée par ses fonctions (membre de la Ligue de Justice, déesse de la Guerre et reine des Amazones… être une femme libérée, c’est pas si facile). Les transitions manquent parfois un peu de souplesse, on a l’impression parfois qu’elle « téléporte » Wonder Woman sur plusieurs fronts, mais cela fonctionne plutôt bien quand on comprend ce que Meredith Finch cherche à faire. D’un certain point de vue, elle s’attaque à un stéréotype des comic books comme quoi les super-héros à succès possèderait le don d’ubiquité (chez Marvel, par exemple, Wolverine arrive chaque mois à vivre ses aventures en solo, être un personnage important dans X-Men et  faire partie des Avengers ; le tout, sans problème d’agenda).

 

En fait, ma déception viendrait plutôt de la prestation de David Finch. Artiste habitué des grands rendez-vous chez DC (Le Règne du Mal), Finch livre un travail surprenant par son irrégularité. En cause : les visages de l’héroïne, beaucoup trop irréguliers ; Wonder Woman changerait presque d’âge d’une case à l’autre. Gênant.


Wonder Woman, déesse de la guerre est un titre agréable, qui a pour qualité de pouvoir être lu sans avoir suivi le run d’Azarrello (tout au plus, il y a une pincée de références tout à fait abordables). Nous sommes bien loin de la purge annoncée outre-Atlantique par quelques acharnées de la polémique ! Le seul bémol : nous étions en droit d’attendre un peu mieux d’un David Finch peu inspiré sur la partie graphique.

À la fin de l’épisode 40, Wonder Woman s’interroge sur les raisons qui ont poussé Derinoé, la vieille sorcière amazone, à vouloir massacrer des hommes. Dans Wonder Woman Annual 1 (qu’Urban Comics a l’intelligence de publier ici), Meredith Finch apporte la réponse : Derinoé est une lesbienne frustrée, jalouse des hommes qui lui ont volé sa chère et tendre. Ou d’une certaine manière, pour la scénariste, la réponse du berger à la bergère…

 

 

Stéphane Le Troëdec

 

 

 

Meredith Finch (scénario) et David Finch (dessins)

Wonder Woman, déesse de la guerre, tome 1 – Insurrection

Édité en France par Urban Comics (15 janvier 2016)

Collection DC Renaissance

168 pages couleurs, papier glacé, couverture cartonnée

15 euros

EAN : 9782365778151

 

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