Vrouz de Valérie Rouzeau méritait-il un tel prix littéraire ?

Le canal de l’intellection est bouché. Le sismographe des affects demeure inerte. L’encre reste pâle, verdâtre même. On approche des fonds marécageux, on se noie… vite, il faut agir ! Heureusement, la palme du prix Apollinaire 2012 vole au secours de ce recueil de poésie mort-né. Il s’agit de Vrouz de Valérie Rouzeau. Une contrepèterie créative dès le titre… pas de surprise dans ce paysage éditorial qui nous sert de la soupe à la limace. Et pourtant l’on s’étonne que ce couronnement poétique soit l’initiative d’un cénacle d’intellectuels (sic). Comme le disait justement notre ami Montaigne : "Autant en dict du sien chaque siècle" (Essai III, 9). Donc laissons la voix  à Vrouz :

 

Bonne qu’à ça ou rien
Je ne sais pas nager pas danser pas conduire
De voiture même petite
Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser
Je ne sais pas non plus manger ni cuisiner
(Vais me faire cuire un œuf)
Quant à boire c’est déboires
Mourir impossible présentement.

 

Le rôle des scripteurs de notre siècle n’est-il pas de cultiver la langue au lieu d’œuvrer au désherbage ?  Le prix Apollinaire comme promoteur de la langue ? Que nenni. Et oui, Montaigne était clairvoyant en arguant : "Il [le langage] escoule tous les jours de nos mains et depuis que je vis s’est altéré de moitié."

 

La tête d’envournée dans le métro rapide
Je vois ce jeune homme pâle sa mèche crantée
Ce joli coup de peigne qu’il a quand il sourit
Alors je reconnais sa très arrière-grand-mère
La jeune fille d’autrefois qui vit dans ce gars-là
Elle existe comme lui je le vois
Les yeux verts un peu gris la couleur de la Seine
Bien coiffée plutôt sage au-dessus de la Seine.

 

À l’issue de ces formidables avancées sociolinguistiques, il est temps de renouveler la typologie traditionnelle de notre langue française qui se meurt. Pourquoi parler de poésie puisqu’il n’y en a pas ?  Pour ne pas prendre de risque, Vrouz s’efforce d’adopter un sermo simplex "horibilis" qui fait l’économie des mots pour être compris de tous, à savoir : conter un rendez-vous chez le gynéco, une course au BHV, la SNCF ou encore parler de la sécu…, mais l’intelligence de son auteur est de mettre le public en état de sécurité langagière, aux autres de faire des compromis ! Car le mot d’ordre de l’édition est bien de pallier les lacunes de la réceptivité et de l’intelligibilité par un coup de maître ! Adapter ses publications aux produits de l’époque. Suffit de regarder TF1 qui est l’abreuvoir des porcs se bâfrant de Secret story et autres divertissements du même acabit… Alors quoi de plus concordant que d’attribuer le prix Apollinaire à un livre aussi profond que nos programmes et publications…. ? En ce sens, ce livre répond parfaitement aux exigences sémantiques de son siècle ;  un puits de vacuité qui sonne l’éviction de tout plaisir de lecture à travers un patchwork de mots, ça et là.

 

J’ai l’amour spontané de mon prochain sauf quand
Mon prochain s’intéresse de trop près à mon goût
À ma personne gentille et froide et solitaire
Alors là je m’éloigne à grandes enjambées
Du buffet dînatoire où j’étais conviviée
Et je rentre chez moi savourer mon congé.

 

Néanmoins, son mérite est d’adopter une approche synchronique de la langue, c’est-à-dire qu’elle dresse une étude de son état  à un moment donné. Force est de constater qu’elle y arrive si bien que nous prenons conscience du miasme fiévreux qui nous entoure. Alors qu’il y a un siècle avant notre ère, les Romains, sous la conduite de Jules César, latinisaient les élites pour finir par supplanter progressivement les dialectes des peuples de la Gaule vers une romanophonie grammaticalisée… aujourd’hui, jamais la langue du peuple conquis par le divertissement n’a semblé si menaçante ! Période de décadence ? Veuillez m’excuser, je ne suis point philologue et il n’est pas en mon pouvoir de rendre compte de l’évolution des faits linguistiques dans le temps de manière descriptive et impartiale. Je fais moi-même l’expérience empirique de ce nivellement par le bas. Quelle tessiture de mots bien pauvres… et le tout sous l’éclairage zénithal d’un des prix poétiques les plus distingués !
On croit rêver. 

 

Autant qu’on se le dise, la Culture coûte trop cher !!! Qu’on lapide les intellectuels, tout part à vau-l’eau depuis si longtemps. N’est-ce pas l’humaniste Thomas More qui périt décapité sur l’échafaud en juin 1535 ? Dernièrement, les restrictions  budgétaires de France Télévisions ont mis en péril l’émission de Philippe Lefait : Des mots de minuit s’éteindront à jamais dès  la rentrée… après vingt ans d’existence. Il serait dommage de s’arrêter là… rien d’étonnant quand les libraires estiment que la qualité des contenus (gloups !) est en adéquation avec la demande ! Nous digérons le menu fretin éditorial que l’on mérite, n’en déplaise aux lecteurs facétieux et aux écrivains talentueux qui restent dans l’ombre.


Dès lors, en accord avec la doxa mercantile, les meilleures ventes affichent en ce moment Inferno de Dan Brown, tiré à 600 000 exemplaires, dont 100 000 vendus en trois jours et un million en cinq jours en Amérique du Nord. Alors qu’attendez-vous de la crédibilité d’un prix littéraire de nos jours ? Toutefois,  je lève mon point haut et ferme pour féliciter le dernier Goncourt 2012 pour Le Sermon sur la chute de Rome, formidable prose ce Jérôme Ferrari !


Virginie Trézières


Valérie Rouzeau, Vrouz, La Table ronde, mars 2012, 176 p. - 16,00 €

8 commentaires

Ce vieil Apollinaire a sans doute le blues

En voyant  que son prix s’en est allé à Vrouz

Le sismographe est plat, la poésie recule

On regrette Verlaine devant son crépuscule...

Vous devriez songer à publier de la poésie, cher Thierry, et pourquoi pas ?

Oui, c'est une idée, mais j’hésite encore entre la poésie d’apparat qui trouble son eau pour la faire paraître profonde, du style :

 

Seul, 

Le sémaphore

Argentin de la

Lune

Son haleine indivisible préempte la légende d'un

             Dieu mineur

Branche qui ploie. Un souffle.

Humidité pâlit 

De la nuit... l'âge encore !

 

Ou bien l’alexandrin à la con du quotidien…

 

C’est toujours en sortant de chez moi (dans l’Yonne)

Que je cherche partout mon tout petit I-Phone

Je lâche des gros mots et je tape du poing

Ça y est ! je l’ai trouvé : il était dans un coin…

@Thierry, attention, même si j'adore ton alexandrin du quotidien, tu ne peux rien publier de la sorte, c'est déjà pris : Grand Corps Malade a le monopole de ce type d'écriture, trop tard... 


:-)

Un style d'écriture peut-il être revêtu du dépôt "commercial" légal et rester le monopole d'un seul ? 

réponse a/ à ce rythme, il n'y a que quelques écrivains dans l'histoire
réponse b/ quid des hommages ?
réponse c/ Grand corps malade n'est pas un écrivain de toute façon et on s'en tape

Le grand corps maladif d’un slameur in-plano

Et l’anima sana in corpore sano

De cette poétesse qui se prend pour Verlaine

Écrivent pareillement des vers non pérennes…

Douze pieds et des rimes ne sont pas suffisants

Pour crier au génie de vos tristes quatrains !

Pour en faire un, dites trois fois alexandrin

Ce n'est pas difficile, mais l'émotion est loin.

Au mieux vous écrirez des morceaux délétères…

Comme ceux que j’adresse au Salon littéraire 

Et la créativité ... "buffet dînatoire" : expression de Villiers de l'Isle-Adam...